Entretien

Publié le 03/07/2020

Entretien avec Jérôme Baschet

À propos de "Enfants de tous les temps, de tous les mondes"
25 novembre 2011

Comment est née et a mûri l'idée de ce livre et comment s'est élaboré le projet (sur la durée, entre autres) ? Quelle fut votre position en tant que directeur d'ouvrage (ligne éditoriale) ? 

Colline Faure-Poirée a eu l'idée de ce projet et c'est à elle que je dois le défi passionnant qu'a représenté pour moi la conception et la réalisation de ce livre. Ce furent au total sept années de travail, pour mettre au point la structure de l'ouvrage, contacter les trente auteurs qui y ont participé, écrire et unifier les textes, recueillir l'iconographie, élaborer les principes de maquette et mener à bien tout le travail éditorial. 

Il ne pouvait s'agir ni d'écrire une histoire linéaire de l'enfance à travers toutes les civilisations, ni de proposer une encyclopédie, qui dirait tout de l'enfance à toutes les époques et sur tous les continents. Je voulais aussi, tout en étant aussi rigoureux que possible, éviter un didactisme trop appuyé. Finalement, le livre est composé de 30 chapitres thématiques, regroupés en 3 parties, qui abordent, je crois, à peu près tout le spectre des questions relatives à l'enfance (depuis la naissance, ou encore l'organisation de la famille, l'école et les principes éducatifs, la manière dont la vie des enfants est affectée par les différences sociales, l'exclusion, les discriminations ethniques, jusqu'à ce qui forme le cœur du monde de l'enfance, notamment le goût du jeu, la complicité entre camarades, le rire ou l'énergie créatrice) Pour chaque thème, différents exemples ont été choisis, à travers les âges et les continents, de façon à faire apparaître des différences fortes entre les différentes civilisations et cultures qui marquent l'histoire des peuples du monde. 

Là est, à mon sens, l'enjeu majeur du livre : faire découvrir aux enfants, à travers chacun des thèmes traités, la diversité des cultures humaines. Pour être plus précis, ce livre voudrait être, à partir de questions qui touchent de près les jeunes lecteurs, une initiation à la diversité des mondes sociaux. Découvrir cette diversité, c'est aussi prendre conscience du caractère relatif de notre propre culture, de notre propre manière de vivre et de voir le monde. Celle-ci nous paraît habituellement aller de soi, comme un fait d'évidence, que nous ne questionnons pas. Or, à chaque chapitre du livre, nous découvrons d'autres manières de faire et de penser, souvent très surprenantes. Cela invite, me semble-t-il, à regarder le monde de façon sinon plus critique, du moins plus aiguë.

Il s'agit là de la première histoire des enfants (point fort), présentée sous une forme telle, certes non exhaustive, mais déjà très large. Quelle est alors la place d'un tel ouvrage ? Qu'apporte-t-il ? Pourquoi s'intéresser à un tel sujet - les enfants -, puisqu'il n'a pas encore été ainsi abordé ? 

Il existe déjà des ouvrages savants consacrés à l'histoire de l'enfance et ce domaine de la recherche historique s'est même avéré, au cours des dernières décennies, particulièrement fécond. Mais c'est sans doute la première fois que l'on tente, de manière aussi ample, d'apporter aux enfants eux-mêmes un savoir sur leur propre histoire! 

Par ailleurs, je voudrais insister sur le fait que le livre ne traite pas seulement du passé, mais au moins autant du monde actuel. Il n'est d'ailleurs plus temps de considérer l'histoire comme la science du passé; elle se doit d'englober passé et présent dans sa réflexion. De plus, le livre fait aussi appel à des spécialistes du présent : sociologues, anthropologues, psychologues et médecins, journalistes et écrivains. Pourquoi y-a-t-il tant de livres qui tentent d'expliquer aux enfants les rudiments des sciences de la nature et si peu, malgré un essor récent, qui se soucient de leur transmettre des éléments de réflexion inspirés des sciences sociales? 

Enfin, je crois qu'il y a une actualité profonde de la réflexion sur l'enfance. On peut juger une société à la place qu'elle accorde aux enfants : pas seulement sur le plan des principes, mais d'abord en ce qui concerne les conditions de vie qui sont faites aux enfants, je veux dire à tous les enfants. Et, au-delà des conditions matérielles, dans les gestes et les formes d'attention dont ils sont entourés, ainsi que dans les espaces d'autonomie qu'il leur est loisible de créer. Est-il si sûr, en ce qui concerne la situation des enfants, que notre monde moderne d'aujourd'hui soit le plus « performant »? En tout cas, une chose est sûre : il n’y aura pas de société vraiment humaine qui ne fasse de l’enfance – en théorie et en pratique – l’une de ses plus hautes valeurs. 

En quoi cet ouvrage fait-il particulièrement sens pour vous en tant qu'historien et en tant que père ? Qu'avez-vous souhaité y voir figurer tout particulièrement ? 

Lorsque mon fils lira ce livre, j'aimerais qu'il en retire de la curiosité. L'envie d'en savoir plus. Et une certaine inquiétude, au meilleur sens du terme : la capacité de mettre en doute les idées reçues et de faire surgir de nouvelles interrogations (par exemple sur les valeurs qui dominent autour de nous, sur la justice et l'injustice, sur les espérances d'une vie digne pour tous les enfants et tous les habitants de la planète). 

Sans vouloir apparaître tel, ce livre est un plaidoyer pour la connaissance historique. Oui, cela vaut la peine de s'intéresser à d'autres mondes sociaux que le nôtre. Et il convient de le faire de manière à promouvoir une autre vision de l'histoire humaine, résolument critique et interculturelle. Car la représentation qui domine encore, qu'on le veuille ou non, fini toujours par nous placer, nous et notre propre culture, au somment de l'évolution. Poser les jalons d'une autre vision de l'histoire des peuples du monde est une nécessité si nous voulons envisager un véritable dialogue entre les cultures, d'égal à égal et respectueux, c'est-à-dire un monde dans lequel tous les mondes aient leur place et soient capables de s'enrichir mutuellement. 

 

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