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Publié le 24/04/2023

Entretien avec Christelle Dabos

Après La Passe-miroir, Christelle Dabos révèle une nouvelle facette de son talent dans un roman choral vertigineux, addictif et puissant. Rencontre.

Vous avez plusieurs fois évoqué la façon dont La Passe-miroir vous était venue en tête : visuellement, comme une apparition. Sauriez-vous dire comment vous avez eu l’idée de ce nouvel univers ?

CHRISTELLE DABOS : J’ai l’impression que Ici hiberne dans un coin de ma tête depuis que j’ai quitté le collège, comme si un petit morceau de moi était resté là-bas. Ça a attendu pendant des années, silencieusement, quelque part en arrière-plan. Et voilà qu’en 2020, en plein confinement, ça a surgi sans prévenir. Peut-être est-ce d’avoir déménagé en face d’une école ? d'entendre les sonneries ? de sentir les odeurs de réfectoire ? Ici s’est enfin réveillé. Ici a voulu urgemment se raconter. Une cour de récréation où on a oublié comment s’amuser. Les chiottes de l’enfer. Des traces de semelles au plafond. Des tables qui reculent toutes seules. Une classe scindée en deux. Et ce portail capricieux qui marque la frontière. Oui vraiment, je crois que Ici attendait juste son heure !

C’est un texte très compliqué à résumer. Que dites-vous quand on vous demande « de quoi ça parle » ?

C.D. : C’est une année de collège presque comme les autres où l’on suit Iris, Pierre, Madeleine, Guy, une remplaçante et un drôle de club. Ils ne se connaissent pas, mais ils ont une chose en commun : ils sont Ici et Ici seulement. Iris essaie de se fondre dans la masse. Pierre ne sait être rien d’autre qu’un bouc émissaire. Madeleine est en pleine crise mystico-existentielle. Guy se trouve tiraillé entre un prince que personne n’a le droit de regarder et une nouvelle qui a les yeux un peu trop en face des trous. Ah oui et il y a une fin du monde qui peut se produire à tout instant (mais surtout le jeudi).

Vous parlez du collège comme un monde clos ayant ses propres codes, rites et, surtout, sa propre violence. S’agit-il pour vous de nous « raconter » une expérience, une émotion personnelle ou au contraire, une expérience collective ?

C.D. : À l’origine, il y a un vécu intime : des choses dont j’ai été spectatrice, des choses dont j’ai été actrice, des choses que je ne comprenais pas et dont je n’osais pas parler. Pour moi, le collège, ça a été la fin abrupte de l’enfance. Mais ce qui a donné tout son sens à l’écriture de Ici et seulement Ici, ça a été de m’extraire de mon petit point de vue étriqué et d’essayer d’en adopter plusieurs. Contempler sous tous les angles cette étrange mécanique qui se met spontanément en place de génération en génération, de cour de récréation en cour de récréation. Et ne rien juger.

Vous êtes-vous posé la question des émotions que vous souhaitiez provoquer chez votre lecteur ?

C.D. : Je dois admettre que non. Ici m’est sorti du ventre presque tout seul, je l’ai écrit au milieu des cartons de déménagement et je ne me suis même pas du tout posé la question d'une éventuelle transmission. Ce fut une rédaction expérimentale, aux antipodes de La Passe-miroir. J’ai ressenti beaucoup de remue-ménage, mais aussi beaucoup de joie. Lorsque j’ai donné ce texte à lire à mes proches, une fois terminé, j’ai été étonnée par les réactions contradictoires qu’il a suscitées chez eux. Certains l’ont trouvé sombre, d’autres lumineux, voire plutôt drôle. Il est certainement un peu tout ça à la fois. Il y a du surnaturel et de l’inexplicable dans ce roman.

Que viennent dire ces touches de fantastique ?

C.D. : C’est après coup que j’ai pu mettre le doigt sur ce qu’était Ici et seulement Ici : du réalisme magique. Une cohabitation entre la réalité dans ce qu’elle peut avoir de plus dur et des forces surnaturelles qui sont complètement acceptées (et d’une certaine façon nourries) par les personnages. J’ai une approche toute personnelle - et probablement antiscientifique - de la physique quantique où je m’interroge sur l’impact que peut produire une conscience sur l’existence ou la non-existence des choses. En ce sens, Ici est une sorte de grand laboratoire où tout et son contraire sont simultanément possibles.

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