Chronique

Publié le 19/04/2018

Cinquante ans après l’année zéro

68 année zéro - Paule du Bouchet

Amy, rédactrice On Lit Plus Fort, nous livre son avis sur 68 année zéro, le nouveau roman de Paule du Bouchet.

Je ne m’intéressais pas trop à la politique, au grand dam de Granny, et elle s’évertuait à nous dire qu’il fallait s’engager dans la vie et que nous étions responsables du monde dans lequel nous vivions. Jusqu’en mai 68, ces paroles avaient pour moi un sens très relatif. À vrai dire, je ne me sentais pas responsable de grand-chose.

Il y a 50 ans, c’était mai 68. On dépavait les rues de Paris pour balancer les pierres sur les CRS, on campait dans la Sorbonne, on défilait à plusieurs millions dans les rues tandis que les grèves et les revendications paralysaient totalement le pays. Il y a 50 ans, on se rebellait contre la politique d’après-guerre du général De Gaulle, on cherchait à briser les codes de la société sclérosée dans laquelle on vivait alors. Les codes devaient changer, les cartes être rebattues.

« Il faut encore porter en soi un chaos pour mettre au monde une étoile dansante. » – Nietzsche
La phrase de Nietzsche, je l’ai recopiée et punaisée au-dessus de mon lit, à côté d’une photo de Daniel Cohn-Bendit tenant tête aux CRS venus occuper la Sorbonne, le 3 mai.

En 68, tout le monde n’avait pas la télé, et encore moins la télé couleur. On se tenait informé par le téléphone, la radio éventuellement, les journaux aussi : pas de Facebook, de réseaux sociaux, l’info en temps réelle, c’était de se pencher à la fenêtre. Certains foyers avaient des toilettes au fond du jardin, les écoles étaient non-mixtes et on payait son pain en franc.

En mai, les murs se sont mis à parler. Des dizaines d’inscriptions ont crevé leur silence. Comme s’ils n’attendaient que ça, les murs. Se rendre utile. Ils parlaient à la place des milliers de jeunes à qui on interdisait d’ouvrir la bouche depuis si longtemps.

Pourtant, en 68, au delà des étudiants et des ouvrier à Paris et en banlieue, c’est peu à peu une grande partie de la population française qui s’est réunie, soudée, autour d’un même idéal, d’une même volonté de renouveau. On rêvait d’un autre monde, on rêvait d’abolir certaines inégalités, de bouleverser les choses. Un vent de colère et d’espoir a balayé le sol français, comme une révolution qui se déroulait à la fois dans la rue et dans les esprits.

« Il est interdit d’interdire »

Dans 68 année zéro, Paule Du Bouchet nous livre sa version de mai 68, au travers du regard de Maud, jeune adolescente de 16 ans qui voit sa vie bouleversée par les évènements. Malgré la différence de patronyme, c’est ici un récit autobiographique que nous propose l’auteure – et ça se sent.

Tout arrivait en même temps, un carambolage énorme. Tout pétait, à l’extérieur et à l’intérieur de nous, dans les rues et dans nos têtes. On n’imaginait pas que ça pouvait s’arrêter.

La plume est belle, à la fois fine et résolument jeune. On a l’impression que Maud nous parle, à nous spécifiquement, nous raconte son quotidien du mois de mai et de ce qui en a découlé avec une sincérité et une simplicité prenante. Le récit s’avère à la fois intimiste et universel : on vibre autant pour l’héroïne que pour les évènements qu’elle évoque. On est porté par son espoir, sa révolution, et finalement, on a un peu envie de descendre dans la rue avec elle.

« Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi. » Cette phrase-là, elle me parlait, à moi, personnellement, j’avais l’impression qu’elle m’était adressée. Je captais l’image. Je ne savais pas ce que c’était le « vieux monde », mais je savais qu’il fallait que je coure plus vite que lui.

Alors que la société telle qu’elle la connaissait et la concevait vole en éclats, Maud découvre également le plaisir de la philosophie, l’importance de l’engagement politique, et des choses plus terre-à-terre, comme ses premières soirées, sa première cigarette, ou son premier amour…

D’un coup, il fallait accepter qu’il existait des gens qui n’étaient pas d’accord avec nous sans être pour autant des salauds.

L’occasion, alors, de se remémorer le pourquoi du comment des évènements qui ont secoué la France il y a 50 ans, contre le pouvoir en place et les règles du monde dans lequel ils vivaient. Dans ce récit à la fois rebelle et tellement vrai, Paule nous rappelle que la vie, c’est avant tout cela : de petits riens et de grandes révolutions, qui nous façonnent et nous font grandir.

La colère, ça fait des émeutes, seul l’espoir fait les vrais changements.

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