Entretien

Publié le 14/12/2020

J.K. ROWLING NOUS PARLE DE L’ICKABOG

J.K. Rowling répond à toutes les questions que vous vous posez sur son nouveau roman jeunesse.

 

J.K. Rowling
© Photography Debra Hurford Brown © J.K. Rowling 2018

«Je savais combien c’était dur, pour les enfants les plus jeunes,
de voir leur vie soudain bouleversée, et j’ai pensé que ça pouvait aider à rendre le confinement un peu plus léger»

Quand avez-vous écrit L’Ickabog et pourquoi avez-vous décidé de le publier aujourd’hui ?

L’idée de L’Ickabog m’est venue il y a dix ans et j’en ai écrit l’essentiel entre les tomes de Harry Potter. Je le lisais à mes deux plus jeunes enfants quand ils étaient petits, mais une fois que les Harry Potter ont tous été publiés, j’ai décidé de me consacrer à un roman pour les adultes ; aussi le manuscrit, inachevé, est-il parti au grenier. J’ai toujours aimé cette histoire, mais les années passaient, j’étais occupée par mes romans policiers, et j’ai fini par la voir comme une histoire appartenant à la sphère familiale. On discutait souvent des villes de Cornucopia et ma plus jeune fille insistait pour que je termine cette histoire, mais je n’arrivais pas à trouver le temps. Puis la pandémie de Covid-19 est arrivée. Je savais combien c’était dur, pour les enfants les plus jeunes, de voir leur vie soudain bouleversée, et j’ai pensé que ça pouvait aider à rendre le confinement un peu plus léger. J’ai donc descendu L’Ickabog du grenier, je l’ai relu et j’ai réalisé que j’avais écrit l’essentiel du livre. Je l’ai repris et terminé, puis je l’ai lu à ses premiers auditeurs qui, entre-temps, étaient devenus des adolescents. J’ai été stupéfaite de voir avec quelle précision ils s’en souvenaient ! Ils m’ont demandé de rétablir certains détails que j’avais supprimés – ce que j’ai fait – et voilà, mon livre était fini !
J’ai eu l’idée de publier l’histoire par épisodes sur le site de L’Ickabog, gratuitement, pour que tout le monde puisse y avoir accès. J’ai aussi pensé que ce serait formidable s’il était illustré par des enfants. Cela leur donnerait de quoi s’occuper, en plus du plaisir (j’espère) de lire une nouvelle histoire. Nous l’avons fait traduire en différentes langues, afin de la rendre accessible au plus grand nombre d’enfants possible.
Mes droits d’auteur sont reversés à Volant, l’association caritative que j’ai créée, pour aider les ONG qui interviennent auprès des personnes les plus durement éprouvées par la Covid-19, au Royaume-Uni et dans le reste du monde.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un conte et qu’est-ce qui vous plaît dans ce genre ?

Les contes et les fables permettent d’explorer des thèmes éternels. Nous avons tous aimé succomber au pouvoir du « Il était une fois » et nous laisser entraîner dans un pays imaginaire, hors de la vie réelle. J’aime qu’on retrouve des personnages universels dans toutes les cultures et je suis fascinée par le fait que les humains semblent interpréter le monde de la même manière, quel que soit leur environnement. Les mythes, archétypes et contes folkloriques dépassent les frontières nationales, et c’est en cela que je les aime.

Vous n’aviez pas écrit pour les enfants depuis Harry Potter. Comment l’avez-vous vécu ?

Ça a été un vrai plaisir d’écrire à nouveau pour eux, comme de voir l’élan de créativité suscité par le concours de dessin. Chaque jour, j’attendais avec impatience de découvrir quelles surprises m’avaient réservées mes petits lecteurs et je n’ai jamais été déçue. Nous avons reçu environ 60 000 participations [pour les pays anglophones]. L’Ickabog m’a rappelé combien j’aimais interagir avec les jeunes. L’expérience a été merveilleuse du début à la fin.

«Pour moi, le message essentiel de l’histoire,
c’est que les gens peuvent changer,
même ceux qui paraissent insensibles
à la raison ou à la bonté»

Avez-vous écrit L’Ickabog comme un conte politique ? Pensez-vous qu’il reflète notre époque ?

Je pense que c’est une histoire intemporelle. Il y a toujours eu des Crachinay et des Fred, mais heureusement, il y a toujours eu des Daisy et des Bert ! Pour moi, le message essentiel de l’histoire, c’est que les gens peuvent changer, même ceux qui paraissent insensibles à la raison ou à la bonté. La Cornucopia a besoin d’apprendre une dure leçon, tandis que L’Ickabog lui-même incarne la transformation. Même quand la situation paraît désespérée, les héros gardent la conviction qu’ils ont le pouvoir d’agir, pas juste dans leur propre intérêt, mais pour le pays tout entier.

Dans l’histoire, la nourriture est très présente, depuis les succulentes pâtisseries de Chouxville, la capitale de la Cornucopia, les savoureux fromages de Kurdsburg ou encore, moins ragoûtants, la soupe aux choux qu’on sert à l’orphelinat de la mère Grommel ou le bouillon de mouton graisseux des Marécageux. Quel rôle joue-t-elle dans l’histoire ?

La nourriture représente plein de choses à la fois : une nécessité et un plaisir, une façon de prendre soin des autres et un enjeu de santé. Curieusement, j’ai inventé ces villes et leurs spécialités culinaires des années avant le confinement, et pourtant, je sais que beaucoup de gens ont développé une nouvelle relation à la nourriture et à la cuisine lorsqu’ils ont été confinés et, bien sûr, plus encore s’ils ont connu l’angoisse de ne pas manger à leur faim. Dans le livre, la nourriture est un moyen de s’évader de la réalité, ce dont nous avions tous besoin cette année.

Éprouvez-vous du plaisir à inventer les noms de vos personnages comme Flapoon ? Qu’est-ce qui vous a inspirée ?

J’aime les noms et je leur consacre toujours du temps. Flapoon vient à la fois de buffoon [bouffon] et de flap [panique], parce qu’il perd ses nerfs plus facilement que Crachinay qui, lui, a toujours un plan en réserve.

D’où vient le nom de l’Ickabog ?

L’Ickabog vient du mot Ichabod, qui signifie « sans honneur » [en hébreu] et qui est parfois traduit par « la gloire s’en est allée ». Il a un double sens dans le livre, parce que l’honneur et la gloire quittent le paisible petit royaume et aussi parce que les jours de gloire de l’Ickabog sont derrière lui, du moins le croit-il, et lorsqu’on le rencontre pour la première fois, il est prêt à se comporter de façon indigne pour se venger.

La proposition d’illustrer l’histoire au fur et à mesure de sa diffusion a reçu un formidable accueil. Avez-vous été surprise ?

J’ai été stupéfaite du nombre de retours, mais aussi de leur qualité. Nous avons reçu tellement de dessins magnifiques que j’étais soulagée ne pas faire partie du jury, sinon le livre aurait fait 20 volumes !
Je remercie vraiment les gagnants, et tous ceux qui ont participé, d’avoir apporté leur talent à ce projet qui n’aurait pas pu exister sans eux.

Vous reversez les droits d’auteur du livre à votre association caritative Volant pour aider les populations éprouvées par la Covid-19, au Royaume-Uni et à l’étranger. À qui va bénéficier cette aide ?

J’ai d’abord fait des dons à mon association caritative Volant pour aider les associations médicales et celles qui sont en première ligne. Nous voulons pouvoir aider tout de suite ceux qui sont impactés le plus durement.
Les droits d’auteur à venir seront distribués par Volant, selon les besoins les plus urgents, à des associations qui travaillent sur le long terme contre les conséquences sociales de l’épidémie, au Royaume-Uni et dans le reste du monde. Je veux soutenir les personnes les plus touchées, aussi bien par le virus que par la crise économique.

Comment avez-vous vécu /vivez-vous le confinement ? Est-ce que cela a été une période féconde pour vous ?

J’ai été très productive pendant le confinement. Si vous m’aviez dit, l’année dernière, que je sortirais deux romans en 2020, j’aurais été très étonnée ; outre L’Ickabog, j’ai aussi publié le dernier Cormoran Strike, Troubled Blood. Malgré tout, comme tout le monde, j’étais inquiète pour mes proches et pour les conséquences à long terme de l’épidémie. Les écrivains ont la chance de pouvoir s’évader dans des mondes imaginaires, mais il est impossible d’ignorer que 2020 a été une année terrible pour énormément de gens, en particulier ceux qui sont endeuillés, ceux qui gardent des séquelles de la Covid ou qui ont perdu leur moyen de subsistance.
Publier L’Ickabog en ligne m’a permis de me sentir utile car, au moins, je pouvais aider les familles enfermées chez elles avec de jeunes enfants. Espérons que 2021 sera une année plus facile. En attendant, je continue à écrire !

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