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Publié le 08/08/2023

Harry Potter - 25 ans d'ensorcellement

Comment expliquer pareille longévité ? Comment, dans une époque de zapping et de quête effrénée de nouveautés, apprécier l’aura d’une œuvre de papier capable de réunir enfants, parents, voire grands-parents ?
Par Julien Bisson.

Est-ce un sortilège tout droit tiré d’un grimoire de Poudlard ? Vingt-cinq ans après sa première incursion à l’école des sorciers, Harry Potter n’a en tout cas rien perdu de sa magie. De nouvelles générations de lectrices et de lecteurs se laissent encore chaque année ensorceler par les aventures du héros créé par J.K. Rowling. Et Harry, Ron, Hermione et les autres n’en finissent plus d’exhiber, sur les couvertures des livres ou lors d’événements déguisés, leur insolente jeunesse… Comment expliquer pareille longévité ? Comment, dans une époque de zapping et de quête effrénée de nouveautés, apprécier l’aura d’une œuvre de papier capable de réunir enfants, parents, voire grands-parents ?

 

« Si l'œuvre continue de passionner, d’émouvoir, d’enthousiasmer, c’est parce qu’elle a convoqué entre ses pages des thèmes universels – au premier rang desquels figure évidemment l’amour. »

 

Comme dans toute bonne potion, on peut en lister quelques ingrédients. Il y a, bien sûr, la force d’attraction d’un monde bâti pierre après pierre, un univers peuplé de créatures fabuleuses, d’objets magiques et de sociétés secrètes. Et il faut saluer dans Harry Potter à la fois l’inventivité, la profusion et la cohérence de ce « Monde des sorciers » qui sert d’écrin à l’aventure. Il y a aussi la plasticité de la langue, capable d’être accessible aux plus jeunes sans jamais lasser leurs aînés, de mettre en scène un univers riche sans jamais égarer le lecteur, d'alterner avec efficacité les épisodes de suspense, d’humour ou d’émotion. Il y a, enfin, l’habileté narrative d’une saga qui grandit avec ses personnages, qui devient au fil des tomes plus sombre, plus complexe, et ose ainsi briser les barrières des genres littéraires pour s’aventurer aussi bien vers le roman d’initiation que le thriller, le portrait psychologique que la satire politique.

 

C’est en faisant ainsi confiance aux pouvoirs de la littérature jeunesse autant qu’à l’intelligence de ses lecteurs que Harry Potter a su se démarquer et s’imposer comme l’une des œuvres romanesques les plus aimées du demi-siècle dernier. Si elle continue de passionner, d’émouvoir, d’enthousiasmer, c’est parce qu’elle a convoqué entre ses pages des thèmes universels – au premier rang desquels figure évidemment l’amour.

 

Amour d’adolescence comme celui qui rapproche Ron et Hermione, amour fou de Severus Rogue envers Lily Potter, amour filial surtout, comme celui que cette même Lily déploie pour Harry et qui va le protéger toute sa vie. « N’aie pas pitié des morts, Harry, dit encore Dumbledore, aie plutôt pitié des vivants et surtout de ceux qui vivent sans amour. »

 

Dans le monde de Harry Potter, cet amour qu’on porte aux siens est souvent un autre nom de l’amitié. C’est l’amitié qui unit, bien sûr, le Trio d’or formé par Harry, Ron et Hermione dès leur première rencontre, cette amitié dont même la jeune fille convient qu’elle est « beaucoup plus importante » que l’intelligence ! Mais c’est aussi celle qui rassemble Luna et Ginny, Albus Dumbledore et Minerva McGonagall, Remus Lupin et Sirius Black… Autant de relations qui témoignent de la force comme de la diversité de ce lien, qui dans Harry Potter n’a rien de naïf : en grandissant, en vieillissant, les personnages en explorent les différentes facettes, en éprouvent la solidité aussi à force d’épreuves – jalousie, trahison ou dangers. Et découvrent, par là même, la force d’une autre valeur clé de l’œuvre : la solidarité. Harry a beau être le héros de l’histoire, il ne saurait triompher du Mal sans l’aide de ses amis. C’est bien en puisant dans l’attachement aux siens que Harry trouve finalement la force de vaincre Voldemort. Donnant ainsi raison au sage Dumbledore : « Nous sommes aussi forts que nous sommes unis, aussi faibles que nous sommes divisés. »

 

Si l’amitié s’avère centrale tout au long de l’œuvre, c’est aussi parce qu’elle porte en elle l’un de ses principaux messages : la compréhension et l’acceptation de l’autre, quelles que soient ses différences. Ce n’est pas leur ressemblance qui rapproche Harry de Dobby ou d’Hagrid, mais bien la reconnaissance de leur « humanité » commune, cette éthique du lien qui fonde la fraternité face au rejet d’autrui. C’est l’esprit même de la tolérance prônée par Dumbledore lors du Tournoi des Trois Sorciers. Et c’est là que l’œuvre parvient aussi à renouveler le motif ancestral de la lutte du Bien contre le Mal, ici incarné par un Voldemort décidé à propager la haine raciale pour célébrer un prétendu « sang pur ». En défiant les Mangemorts, Harry et ses amis combattent aussi l’idée d’un monde sclérosé, miné par les discriminations. Et offrent à chacun la liberté d’affirmer sa différence ou sa singularité, à l’image d’une Luna Lovegood et son « aura de folie douce », ou d’un Hagrid qui affirme sa fierté d’être un demi-géant.

 

Cette question de l’identité se trouve d’ailleurs au cœur d’une autre leçon qu’offre Dumbledore à Harry, lorsque celui-ci s’inquiète de sa ressemblance avec Voldemort à sa sortie de la Chambre des secrets : « Ce sont nos choix qui montrent ce que nous sommes vraiment, beaucoup plus que nos aptitudes. » Il n’y a pas de manichéisme originel dans Harry Potter, chacun porte en lui une part de Bien et de Mal. De nombreux personnages incarnent d’ailleurs cette dualité, de Severus Rogue à James Potter, tour à tour capables d’actes de bonté comme de méchanceté. Même le jeune Tom Jedusor, orphelin à l’enfance malheureuse comme Harry, aurait pu connaître un destin différent et ne pas devenir Voldemort. Rejetant les assignations identitaires, Harry Potter affirme ainsi à la fois notre liberté et notre responsabilité face aux choix que nous faisons. Ce sont nos choix qui nous offrent la possibilité de faire le bien ou le mal, comme le rappelle la trajectoire d’un Drago Malefoy. Eux qui nous permettent d’opter pour le sacrifice, dès lors qu’il peut venir en aide à ceux qui ont besoin de nous. Eux aussi qui nous donnent l’opportunité d’éprouver nos capacités et de démontrer notre valeur.

 

« Outre leur goût pour le mensonge, Voldemort et ses Mangemorts sont aussi dévorés par leur appétit pour le pouvoir. L’occasion pour l’œuvre de célébrer l’humilité,
afin de ne pas céder aux sirènes de la domination.»

 

Parmi les qualités mises en avant dans Harry Potter, l’une des plus importantes s’avère en effet le courage face à l’adversité. Comment vaincre un ennemi aussi effrayant que Voldemort ? Comment trouver la force de le combattre jusqu’à affronter sa propre mort ? En croyant en soi, en n’abandonnant jamais, en faisant toujours preuve de courage. Il ne s’agit pas tant de ne pas avoir peur, signe de l’intrépidité, que de trouver, au contraire, les ressources pour surmonter ses peurs, comme le fait Ron, par exemple, en osant s’aventurer dans une sombre forêt infestée d’araignées dont il a horreur. C’est le courage, aussi, de faire face à ses pairs pour affirmer ses opinions – ce qui permet à Dumbledore de récompenser Neville Londubat dans le premier volume : « Il faut beaucoup de bravoure pour faire face à ses ennemis, mais il n’en faut pas moins pour affronter ses amis. » C’est surtout le courage d’être soi et de surmonter ses propres insécurités, comme doit le faire Ron tout au long de la saga : inquiet de n’être qu’un moins que rien, comparé à Harry, à ses frères, ou encore à Hermione dont il se croit indigne, le jeune garçon finit par prouver sa valeur au fil des ans, notamment au cours d’un match de Quidditch où il brille, en croyant avoir bu la potion de la « chance liquide ».

 

Cet épisode renvoie à une autre dimension au cœur de l’œuvre : le combat pour la vérité. Car la première des vérités, c’est d’abord celle de notre propre être, qu’il faut apprendre à reconnaître et à accepter, sans tourner le dos à notre passé. Ce que Harry Potter nous apprend, c’est à oser dire et à oser parler, à ne pas fuir la douleur ou à la craindre. Voldemort tient ainsi force de symbole de toutes les angoisses qui peuvent nous étreindre et qu’on cherche à réprimer. « La peur d’un nom ne fait qu’accroître la peur de la chose elle-même », assure Dumbledore. Il faut donc s’y confronter et affirmer la vérité, même lorsque celle-ci est douloureuse. « Seule l’acceptation de la réalité peut permettre la guérison », conseille encore le directeur de Poudlard dans le quatrième tome. A contrario, c’est dans l’ignorance ou dans le mensonge que peuvent croître les forces du Mal, dans notre incapacité à les nommer ou à les distinguer. C’est ainsi que Dolores Ombrage cherche à punir Harry de vouloir révéler le retour de Voldemort, en lui faisant écrire en lettres de sang « je ne dois pas dire de mensonges ». Ou que Cornelius Fudge manipule les médias – ici, la « Gazette du Sorcier » – pour propager contre Harry et Dumbledore ce que nous appellerions aujourd’hui des fake news. Le combat contre le Mal commence donc par celui pour la vérité, « belle et terrible », et contre les dissimulations.

 

« Enfin, il est une dernière valeur qui parcourt l’œuvre et continue de charmer les lecteurs :
le pouvoir de l’imagination.»

 

Outre leur goût pour le mensonge, Voldemort et ses Mangemorts sont aussi dévorés par leur appétit pour le pouvoir. L’occasion pour l’œuvre de célébrer l’humilité, afin de ne pas céder aux sirènes de la domination. Cela ne signifie pas que tout pouvoir est autoritaire, ou que quiconque l’exerce est voué à être corrompu par lui. Mais qu’il y a dans l’attrait du pouvoir un péril dans lequel sombrent les figures maléfiques de l’œuvre. « Les plus aptes à exercer le pouvoir sont ceux qui ne l’ont jamais recherché », juge ainsi Dumbledore. Ce n’est d’ailleurs pas le pouvoir en lui-même qui est ici jugé, mais la façon de l’exercer. Nul besoin d’être haut placé pour faire preuve de méchanceté – songez aux parents Dursley. Personne ne le dit mieux que Sirius Black, lorsque ce dernier rappelle : « Si tu veux savoir ce que vaut un homme, regarde donc comment il traite ses inférieurs, pas ses égaux. » Harry Potter lui-même incarne bien cette relation au pouvoir : doté de talents supérieurs qui pourraient le rendre orgueilleux et méprisant, l’adolescent fait généralement preuve de tempérance et de modestie. Et dans sa quête pour vaincre le Mal, il veille toujours à ne pas s’arroger des pouvoirs qui pourraient le faire basculer à son tour du mauvais côté.

 

Enfin, il est une dernière valeur qui parcourt l’œuvre et continue de charmer les lecteurs : le pouvoir de l’imagination. Dans une scène de l’ultime tome de la saga, Harry, frappé par Voldemort dans la Forêt interdite, retrouve Dumbledore dans ce qui semble être la gare de King’s Cross. À la fin de leur conversation, le jeune sorcier se demande si ce qu’il voit n’existe que dans sa tête. Ce à quoi le vieil homme répond : « Bien sûr que ça se passe dans ta tête, Harry, mais pourquoi donc faudrait-il en conclure que ce n’est pas réel ? » Voilà, sans doute, la dernière et l’une des plus profondes leçons de Harry Potter : il y a bien une réalité dans ce que nous recréons dans notre esprit, à commencer par les personnages et les histoires auxquels nous nous abandonnons comme lecteurs. Et ces lectures peuvent, alors, déborder des pages de papier et influencer nos existences.

 

C’est d’ailleurs à cette aune que peut se mesurer, aussi, la longévité de l’œuvre. En 2017, une étude internationale menée par des chercheurs de l’université de Modène et de Reggio d’Émilie, publiée dans le Journal of Applied Social Psychology, avait conclu que les lecteurs de Harry Potter développaient davantage d’empathie et se montraient plus tolérants, notamment envers les minorités et les groupes marginalisés. Signe que l’œuvre porte en elle des valeurs fortes, identifiables par les enfants, sans qu’il ait été besoin de les ancrer dans un univers pleinement réaliste. De là à dire que ce n’était pas sorcier...

 

Julien Bisson

 

Auteur associé