Entretien
Publié le 28/07/2023
Entretien avec Barry Cunningham, premier éditeur de Harry Potter
Barry Cunningham est le premier à éditeur anglais à repérer notre jeune sorcier. Il revient avec nous sur la découverte de ce manuscrit, qui changera le monde de la magie.
Comment avez-vous eu vent de cette histoire?
BARRY CUNNINGHAM : Je venais de lancer le département jeunesse de Bloomsbury et nous recherchions de nouveaux talents. Pas nécessairement des écrivains que les critiques aimeraient, mais plutôt des plumes qui seraient populaires auprès des enfants eux-mêmes. J’ai reçu Harry Potter sous forme de manuscrit. À l’époque, c’est-à-dire avant l’arrivée du courrier électronique, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que ce n’était pas un papier « très frais » et que d’autres personnes l’avaient peut-être déjà lu avant moi. Mais je ne savais pas que Harry Potter avait été refusé par la plupart des éditeurs de Londres. Je l’ai emporté chez moi pour le lire et je l’ai adoré. Il m’a rappelé Roald Dahl avec qui j’avais eu l’occasion de travailler : cette histoire d’enfants, soumis à des événements extrêmes, traités avec cruauté, et qui doivent trouver leur propre chemin… Même si au départ, je l’ai trouvé peut-être un peu long, je savais que les enfants allaient l’aimer.
Vous aviez donc conscience qu’il allait connaître un pareil succès?
B. C. : Ah, j’aimerais vous dire que dès le premier jour, j’ai vu des millions de ventes, de nombreux films, un parc à thème, mais honnêtement, j’ai juste vu que les enfants aimeraient ça ! Je ne pouvais imaginer qu’il plairait à tant de générations, et qu’il changerait, en quelque sorte, le visage des livres pour la jeunesse.
Saviez-vous dès le départ qu’il y aurait sept livres?
B. C. : Oui, et c’était vraiment révolutionnaire à l’époque. Surtout cette idée que le héros grandisse avec ses lecteurs. À ce moment-là, la plupart des héros demeuraient ce qu’ils étaient. Seuls les lieux et les contextes changeaient d’une histoire à l’autre.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le texte de J.K. Rowling?
B. C. : J’ai aimé l’amitié entre les enfants. Cette façon dont ils se donnent de la force mutuellement, malgré leurs différences. Il y a bien sûr la magie, les maisons, Poudlard, mais je pense que le message le plus puissant de ce livre, c’est le pouvoir de l’amitié. Il y est aussi question du bien et du mal, de la façon dont on fait face à la mort, au deuil. Des questions qui font grandir. Beaucoup d’adultes ont dit que leur vie avait été changée grâce à Harry Potter, parce qu’il leur a donné le courage de faire ce qu’ils voulaient, d’être ce qu’ils voulaient. Donner du courage à ceux qui grandissent, n’est-elle pas la plus belle mission des livres pour enfants ?
Le livre a été publié en Angleterre, puis en France, puis dans combien d‘autres pays?
B. C. : Oh, je pense qu’il a été publié dans plus de langues que je n’en connais. Aux alentours de 80, je crois. Ce qui inclut des langues assez obscures, comme le latin, par exemple. Je ne pense pas qu’il y ait un seul endroit au monde qui n’ait pas entendu parler de Harry Potter. Je voyage beaucoup et je rencontre souvent des gens qui demandent ce que ferait Harry face à telle ou telle difficulté, y compris sur des sujets politiques. Je n’irais pas jusqu’à dire que ce texte est révolutionnaire, mais il s’oppose à l’autorité, il dit l’importance de penser par soi-même. Cette inclinaison à la transgression le rend encore plus puissant.
Cette saga occupe-t-elle une place à part dans votre carrière d’éditeur?
B. C. : De mon côté, cela m’a donné la possibilité de publier beaucoup d’autres nouveaux textes. Mais ce dont je suis le plus fier, c’est que Harry Potter a rendu la lecture à nouveau cool. Il a transformé en lectrices et en lecteurs une génération dont on disait qu’elle ne lirait jamais.
Aujourd’hui, Harry Potter fait partie du patrimoine culturel britannique au même titre que les Beatles, Paddington ou Roald Dahl?
B. C. : En effet, je pense qu’il a intégré notre héritage de façon durable, comme en témoigne son succès continu auprès de la nouvelle génération. Évidemment, il y a eu les films, le parc d’attractions, mais au fond, c’est l’attrait du livre qui demeure. La plupart des phénomènes de mode qui ciblent les enfants sont conçus dans d’obscurs bureaux de sociétés marketing, mais cette œuvre-là sort de l’imagination incroyable d’une jeune femme qui rêvait dans un train.
C’est une œuvre vraiment authentique, pas calculée. Et c’est cela, cet imaginaire, qui continue d’attirer les enfants.