Chronique

Publié le 12/04/2016

Tête à tête avec Timothée de Fombelle

Timothée de Fombelle

Propos recueillis par Pierre Jaskarzec
 

Dans cet entretien, nous avons demandé à Timothée de Fombelle de nous guider dans les coulisses de ses propres livres, depuis sa table de travail jusqu’aux tables des librairies !

 

OÙ ? COMMENT ?


 > Tout d’abord, pouvez-vous nous dire dans quelle pièce vous écrivez et si votre environnement immédiat a une importance pour vous ? 
Oui, les lieux comptent beaucoup pour moi. J’ai écrit dans des bibliothèques pendant des années. J’avais besoin de la présence intimidante des lecteurs et des livres autour de moi. J’écrivais dès les heures d’ouverture, on me donnait un coup de pied aux fesses pour me pousser dehors le soir. Et puis un jour, j’ai eu envie de bâtir mon propre nid. C’est peut-être l’âge adulte de l’écriture. J’écris maintenant dans une petite boutique qui ressemble à un atelier de menuisier. Je l’appelle mon atelier pour me rappeler que mon travail est un artisanat.
> Écrivez-vous chaque jour ? Disons plutôt que pas un jour ne passe sans que je tente d’avancer, sans que je pousse un peu plus loin un ou plusieurs de mes projets. Cela ne se traduit pas forcément par de vraies lignes d’écriture sur le papier. Une grande partie de la construction des livres se passe dans la tête.
> Avez-vous des rituels d’écriture ? La cafetière remplie, à la Balzac, le chat sur les genoux, comme Colette ? Vous prenez ces deux exemples, le chat et le café, qui pour moi résument les deux vraies conditions nécessaires pour que je puisse écrire : la disponibilité et le temps. Je n’ai pas de chat, mais je pense que pour Colette sa présence signifiait la tranquillité, le silence.Pour moi, cette disponibilité est la première condition de l’écriture. C’est un état d’ouverture intérieure, de liberté. Quand les conditions sont réunies, je sens ce chat invisible qui vient s’asseoir à côté de moi sur la table. De la même façon, mon instrument de travail, c’est le temps. Il mûrit un projet, le nourrit et aussi l’organise. La tasse de café me sert souvent d’horloge. J’avoue que la simple perspective de cette pause structure mon travail. « Quand j’aurai fait quelque chose de cette page, je prendrai un café. Pas avant ! »

 

MYSTÈRES DE LA CRÉATION

> Comment l’idée d’un nouveau roman naît-elle ? Sous la forme d’un personnage, d’une trame, d’un décor ? Quand savez-vous que vous « tenez » votre histoire ? Je tiens une histoire quand je sens que j’ai envie de vivre avec elle. Chez moi, un projet dure souvent très longtemps, alors il faut qu’il ait un poids et une intensité suffisants pour que je veuille repartir avec lui chaque matin. Le point de départ tient toujours dans une sorte de vision primitive. Le monde réduit à un arbre, sphère verte qui se balance dans le vent : cela donne Tobie Lolness. Ou, pour Vango, le vol d’un dirigeable au-dessus de l’Amazonie en 1929.
> Certains de vos récits sont brefs (Céleste ma planète, Victoria rêve), d’autres sont beaucoup plus amples (Tobie Lolness, Vango). Vous sentez-vous plus à l’aise sur la courte distance ou sur celle du marathonien ? La réponse confortable serait sûrement de dire que chaque genre m’apporte un plaisir différent. Mais il faut avouer que j’ai une attirance profonde pour la saga.Les sept cents pages de Tobie ou Vango correspondent à mon rêve de capter des vies entières, d’autres vies que je ne vivrai pas. J’aime les livres qui nous accompagnent longtemps. D’un autre côté, je me dis souvent que mon fantasme suprême est de parvenir à un livre bref que l’on pourrait lire et relire sans cesse. Une sorte de boucle qui nous prendrait au piège.
> Vos descriptions frappent tout à la fois par leur précision et leur concision. Comment réussit-on à rendre passionnante la description d’un zeppelin, comme vous l’avez fait dans Vango ? Il faut connaître par coeur ce que l’on décrit. Le dernier vol du dernier zeppelin, par exemple dans le tome 2 de Vango, je le connais minute par minute. Je me suis familiarisé avec la centaine de passagers, leur biographie, la position de leur cabine. En écrivant, j’ai même leur photo sous les yeux.
Je dois rentrer dans une connaissance très intime de ce que je décris mais n’en dévoiler qu’une infime partie. Tout le monde peut dire la couleur de la vaisselle du zeppelin, alors je préfère travailler sur sa légèreté, sa porcelaine fine comme de la coquille d’oeuf, ou la profondeur de la moquette sous les pieds des passagers. Je traque les sensations…

 

CHEZ L’ÉDITEUR

> Votre éditeur intervient-il sur le manuscrit que vous lui avez remis ?
Je mûris et travaille très longtemps mes manuscrits avant de les donner. Cela peut durer des années. L’avantage de ce gros défaut, c’est que le texte qui arrive chez l’éditeur est souvent mâché et remâché. Il est très abouti. J’aime ce moment où quelqu’un se penche enfin par-dessus mon épaule pour m’aider. L’éditeur est là pour soulever des questions. C’est indispensable, mais l’auteur reste aux commandes de son petit bateau.
> Intervenez-vous sur le choix des illustrations de couverture ?
C’est un domaine dans lequel j’ai appris à faire confiance à l’éditeur. Je m’en mêle quand même parce que ça me passionne. Il m’est arrivé de guider ou de crayonner un peu pour accompagner l’équipe de Gallimard. L’édition intégrale de Vango a même comme couverture une photo faite avec mon téléphone portable.

 

EN LIBRAIRIE, ENFIN !

> Êtes-vous toujours saisi par la même émotion quand vous découvrez votre petit dernier sur les tables des librairies ? L’émotion, je la ressens surtout devant le manuscrit quand on approche des toutes dernières corrections. Une fois imprimé et déposé chez le libraire, le livre commence presque à m’inquiéter parce qu’il devient intouchable. Il ne m’appartient plus et je suis déjà un peu ailleurs, à rêver à d’autres grands départs.
> Signatures dans les salons du livre, interventions dans des écoles ou chez des libraires… Comment vivez-vous ces rencontres autour de vos ouvrages ?
C’est la principale surprise de mon aventure d’auteur. Je croyais qu’un livre était comme une lettre qui n’aurait jamais de réponse. Et voilà que, surprise ! je me retrouve un jour en face du lecteur. Je suis alors un peu comme un petit garçon qui a écrit à sa voisine d’immeuble sans signer. Forcément, ce face-à-face est impressionnant. C’est même parfois bouleversant.
> Tobie Lolness a été traduit en vingt-huit langues. On vous devine comblé… et peut-être un peu inquiet de ne pouvoir vérifier la qualité de la traduction en coréen ou en finnois ? En rencontrant des lecteurs dans beaucoup de pays, je me rends vite compte si on parle du même livre et donc s’il est bien traduit. Je suis aussi devenu très proche de certains de mes traducteurs. Je leur fais confiance. Ils me connaissent intimement par mon écriture. Mais c’est vrai que le français est la terre dans laquelle poussent mes histoires. Dans une autre langue, un autre terroir, elles deviennent autre chose. Un même plant de vigne ne donne pas le même vin en Bourgogne ou en Californie.

 

 

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