Chronique

Publié le 08/10/2020

L’enfance contre vents et marées

Milly Vodović - Nastasia Rugani

Une ode à l’imaginaire infini de l’enfance et une lutte contre le racisme. Milly Vodović, le roman très remarqué de Nastasia Rugani, a reçu la mention spéciale du Prix Vendredi 2018 et est lauréat du Prix Sorcières 2019. Son héroïne courageuse vient s’ajouter à la liste des personnages féminins inoubliables en Pôle Fiction.

Dans une petite ville des États-Unis, Milly, 12 ans, est sur le point de quitter l’enfance et elle déteste ça. Elle a bien mieux à faire ! Milly, Reine des casse-pieds, porte fièrement la couronne en papier que son grand-frère Almaz lui a fabriquée et explore le monde qui l’entoure, parle aux animaux et aux créatures imaginaires qui arpentent la ville. Milly est aussi en lutte perpétuelle contre la violence. Elle ne se prive jamais de dire ce qu’elle pense et de remettre les autres à leur place, surtout le menaçant Swan Cooper, pourtant bien plus âgé qu’elle.

“Elle prend conscience de la puissance de son corps pour la première fois de sa vie, et c’est miraculeux. Elle est petite et mince mais son instinct est une forêt. En elle s’étendent des arbres centenaires et des loups en chasse – victorieux.”

Milly le “monstre”, comme la surnomment sa mère et son grand-père, donne du souci à sa famille qui ne tient pas à se faire remarquer dans cette ville américaine où le racisme sévit. En tant qu’immigrés bosniaques, les Vodović doivent supporter les regards mal placés et la menace sourde de celles et ceux qui sont contre la présence des musulmans dans leur quartier. Milly n’arrive pas à trouver sa place : ni dans cette famille hantée par une guerre qu’elle, Milly, n’a pas connue, ni dans cette ville inaccueillante. Alors elle embrasse l’enfance comme on embrasse l’être le plus aimé, et laisse virevolter son imagination.

“Tu verras, c’est comme ça, l’adolescence. C’est emmêlé et vicieux, surtout au début.”

Un jour, le malheur frappe. On retrouve son grand frère Almaz mort, tué d’une balle. Désormais Milly doit arpenter son monde, seule, sans la présence rassurante de son frère. À force de détermination, elle chemine sur la route du deuil et trouve refuge dans l’imaginaire des mots et le pouvoir des livres, entre les pages desquels on peut tout faire revivre y compris les personnes qui nous manquent. La fiction commence à se mêler au réel, tantôt lumineuse, tantôt menaçante, et avant tout, source d’espoir pour l’héroïne.

“Il faut cogner ce monde sans frère. Ça ne peut pas exister un monde sans Almaz. Alors une fois sous le ciel satiné, les yeux sanglés par le soleil, elle hurle.”

Dans ce roman de l’identité, puissant et beau, Nastasia Rugani travaille ses personnages et leur regard sur le monde comme des illustrations minutieuses, qui se parent des mots qu’elle choisit comme un dessin s’habille de couleurs. De sa plume métaphorique et particulièrement imagée, elle trace l’apprentissage de Milly avec autant de force que de grâce, et fait de ce court roman une expérience sensorielle.
Milly est la vibration furieuse et forte de l’enfance qui défendra son monde coûte que coûte. Une héroïne aux mille combats dont l’histoire inoubliable inspire pour la vie, à l’image des héroïnes de Rage d’Orianne Charpentier et de Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre de Ruta Sepetys.

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