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Publié le 03/06/2022

Entretien avec Isabelle Pandazopoulos

À l'occasion de la parution de L'honneur de Zakarya, Isabelle Pandazopoulos se livre sur ce qui l'a amenée à écrire cette histoire.

Comment avez-vous eu l’idée de parler d’un jeune impliqué dans une affaire de meurtre ?
Il y a des années, j’ai lu le compte rendu d’un procès dans le journal Libération. Une affaire de bébé secoué où la mère était jugée. Ce qui m’a frappée alors, c’est qu’on lui reprochait l’achat d’une paire de chaussures rouges alors que son bébé était en réanimation… Dans un procès, la vérité se construit aussi à l’aune des préjugés, des normes d’une société. J’avais envie d’un personnage qui déjoue les stéréotypes, qui nous prend à contre-pied, jamais là où on l’attend. Un garçon un peu étranger à sa propre histoire… si jeune et encore en construction, qui doit soudain rendre des comptes sur ce qu’il est comme sur ce qu’il a fait.

Le roman nous happe dès la première page. Mais ce qui nous tient n’est pas tant la question de la culpabilité de Zakarya que celle de sa personnalité. Pensez-vous que, dans ce genre d’affaire, les faits sont finalement moins intéressants que le parcours
des gens impliqués ?

Le lecteur est mis un peu dans la position d’un juré. Est-ce que Zakarya aurait pu tuer Paco ? Peut-être… Est-ce qu’il est violent par nature ? Par accident ? Par imitation ? Par nécessité ? Est-ce que les explications qu’on essaie de donner, les événements qu’on peut raconter, suffisent à expliquer / justifier un geste ? Et son silence ? Comment le supporter ? Le roman est fait de petits éclats de vérité, de points de vue multiples sur Zakarya. Ce qui m’intéresse, c’est l’ambivalence des personnages, et de raconter comment le bon et le mauvais cohabitent en chacun de nous.

Vos personnages semblent ici tous faits de « manques » et de « trop-pleins » : absence des parents, trous béants dans la connaissance de leur passé, manque de confiance d’un côté, et trop d’amour, de désir, de sensibilité, de l’autre… Est-ce l’observation de ce relief qui vous passionne ?
C’est ce que j’ai préféré avec ce roman. On est tous faits de ces manques et de ces trop-pleins avec lesquels on compose sans cesse pour tenir en équilibre. Le roman noir permet, je crois, de faire le récit des ombres de nos vies.

Vous évoquez aussi toutes les difficultés propres à l’adolescence : les injonctions liées au genre, l’éveil à la sensualité, la nécessité de trouver sa place dans un groupe et dans le monde… Vouliez-vous aussi parler des maux de la jeunesse ?
Ces questions autour de l’affirmation de soi sont au cœur de la métamorphose adolescente. Avec la sexualité d’abord, évidemment. Ce corps qui se transforme, plein d’une énergie nouvelle, sexuelle, est proprement affolant. Comment faire avec son désir, et surtout, comment approcher l’autre ? C’est tellement délicieux à raconter, ces difficultés là, des premières fois - qui sont aussi de grands bonheurs. Mais il y a aussi la question de l’appartenance qui agite les jeunes et les moins jeunes de ce roman. L’appartenance à un groupe, ou pas. L’appartenance à une religion ou pas. L’appartenance à une famille, à un pays… S’appeler Zakarya Benothmane dans la France d’aujourd’hui, qu’est-ce que cela implique ? Il est issu de l’immigration, a grandi dans le Morvan, habite dans une cité défavorisée, en même temps qu’il côtoie les bobos écolos de Belleville. À lui tout seul, Zakarya est plein de mondes à la fois…

Vos personnages sont souvent une façon de parler d’un groupe. De qui aviez-vous envie de parler avec cette histoire ?
« Des gens qui doutent », pour reprendre les mots d’Anne Sylvestre. Mais je ne sais pas si ça fait un groupe… Ceux qui cherchent leur place – et même juste une place – quand elle ne leur est donnée ni par leur histoire de famille, ni par la société si prompte à rejeter ceux qui vacillent.

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