Chronique

Publié le 14/11/2016

Double faute, ou la rage de l’éternel challenger

Double faute - Isabelle Pandazopoulos

Voici un livre pour crier au monde que la vie ne pèse pas 49 grammes

49 grammes, c’est le poids précis d’une balle de tennis. Vous ne le saviez pas ? Vous ne saviez pas non plus qu’on pouvait faire tenir dedans tout le tumulte d’un adolescent révolté, toute la brûlure des amoures familiales nocives, et aussi le goût acide et piquant de ces amoures, plus légères, suscitées par l’apparition de nouveaux visages au lycée. Ça vous fait un cœur rond et tendu comme une balle, lisse et râpeux à l’extérieur, prêt à imploser à l’intérieur.

49 grammes, c’est le poids précis d’une balle de tennis. Ludo et son frère le savent, comme ils connaissent par cœur le monde du tennis pour lequel ils vivent, respirent, se lèvent à 5h tous les matins depuis leur petite enfance. Ils savent ce qu’il faut pour devenir champions, et surtout une chose : un champion ne renonce jamais. « JAMAIS ! », tonne la voix de leur père.

Ludo et son frère ont toujours été une paire. Pas besoin de mentionner ou même connaître le prénom du second, hein ? Ils vont ensemble. Alors que se passe-t-il lorsque l’éternel second, faute de pouvoir faire entendre sa voix, quitte le court ?

Lorsque son frère abandonne le tennis, Ludo se met à porter sur ses épaules tout le poids des attentes paternelles. Et un jour, il craque. Il s’écroule sur le court, comme une tâche sur la terre battue. Et ne se relève pas. Et à partir de ce jour-là, son frère se met à exister pour lui-même. Car oui, c’est lui le protagoniste de cette histoire, lui le narrateur, lui dont on n’apprend le prénom, Ulysse qu’à la moitié du roman. Un garçon plein d’espoirs et de rancœurs, nourri à l’injustice, à la recherche de ce qu’il veut vraiment lui, à présent qu’il a le choix. À la recherche d’explication sur la chute de Ludo. À la recherche d’une vengeance… ?

Pourquoi ce roman est formidable :

  • Évoquons le sujet tout de suite pour s’en débarrasser : Double faute est un titre extraordinaire. Une « double faute », au tennis, c’est rater deux fois son service, donnant le point à l’adversaire — scène qui ouvre le roman. Mais c’est aussi la double faute du père des deux frères, héros de cette histoire. La faute d’avoir choyé le premier fils, celle d’avoir délaissé le second, ce qui résulte à donner le point à l’adversaire : il les a montés l’un contre l’autre, et les a montés tous les deux contre lui. Quel beau titre à tiroirs.
  • C’est un roman psychologique rythmé comme un roman d’action. Des flash-back au poil, de la tension sportive au cordeau… D’une élégance magistrale !
  • Le style de l’auteure, à qui on doit le magnifique La Décision, est limpide et évocateur, percutant et parfois brûlant. La voix de ce narrateur qui se débat contre les injustices de son éducation, est parfaite. À la fois intègre et taiseux envers son lecteur, manipulateur et révolté envers son entourage, notre protagoniste est d’une authenticité à crever le cœur.
  • C’est un portrait d’adolescent d’une finesse et d’une âpreté sans concession, le genre de portrait plus vrai que nature que l’on aime tant retrouver chez John Green, par exemple. Et cela fait plaisir d’avoir un ado français aussi vivant et vrai.

Ce n’est pas une histoire ordinaire, ni extraordinaire, c’est une histoire d’une puissance folle, celle d’un adolescent rageur en pleine quête identitaire.

Et nous, nous aimons beaucoup les quêtes identitaires. C’est la quintessence des adolescents et jeunes adultes, de chercher, en se cognant dans l’existence, ce qu’ils veulent devenir, pourquoi et pour qui.

Bravo Isabelle Pandazopoulos.

Auteur associé