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Publié le 08/08/2023

Harry Potter – 25 ans de magie

« Il sera célèbre – une légende –, chaque enfant de notre monde connaîtra son nom. »

Professeur McGonagall, premier chapitre de Harry Potter à l’école des sorciers

A-t-on jamais vu un héros de l’enfance prendre aussi vite sa place à la table des classiques de la littérature jeunesse ? Harry Potter, né à la fin du XXe siècle, n’est pas seulement un petit garçon aux lunettes rondes sur yeux verts et cicatrice en forme d’éclair à la racine des cheveux. C’est un récit initiatique qui a fait plonger des millions d’enfants dans un nouvel imaginaire… et, pour beaucoup, dans la lecture tout court.

 

La légende de sa création est presque aussi connue que les aventures du jeune héros. Harry Potter naît dans l’esprit d’une jeune femme de 25 ans alors qu’elle voyage dans un train entre Londres et Manchester. Nous sommes en 1996 et, bientôt, le monde entier va tomber sous les charmes ensorceleurs du jeune sorcier. Mais le chemin fut long pour J.K. Rowling dont le manuscrit essuya onze refus avant d’être accepté par la maison Bloomsbury qui, à l’époque, veut lancer un département jeunesse (voir l’interview de Barry Cunningham). À Paris, Gallimard Jeunesse est déjà sur les rangs grâce à son fin limier, la directrice éditoriale Christine Baker. « Elle travaillait pour nous à Londres, se souvient Hedwige Pasquet, présidente de Gallimard Jeunesse. L'un de ses rôles était de collecter, dans l’édition anglaise, des titres qui pourraient être traduits en France. Elle avait un très grand talent éditorial. Quand elle l’a découvert, elle a tout de suite su qu’il avait toutes les qualités pour figurer dans la collection Folio Junior. » (voir l'interview de Christine Baker). La France sera donc la première traduction étrangère de ce phénomène qui n’en est pas encore un. « Nous ne sommes pas beaucoup d’éditeurs à l’avoir acheté avant même qu’il ne soit sorti dans son pays d’origine. » Première étape après la découverte de la pépite, la traduction. « Son texte s’inspirait d’innombrables légendes : celtiques, mythologiques, bibliques… Il nous fallait faire appel à quelqu’un qui connaisse ces univers, ainsi que la culture anglo-saxonne. Il fallait, bien sûr, qu’il sache écrire pour la jeunesse et surtout, il fallait que ça l’amuse, car il y a de quoi ! » se rappelle Hedwige Pasquet.

 

Jean-François Ménard, le traducteur de Roald Dahl, est alors contacté. À ce moment-là, il est loin de se douter que, quelques années plus tard, il travaillera sur les tomes suivants en un temps record – deux mois pour traduire plus de 700 pages… –, sortie mondiale oblige. « Au départ, je me suis dit que ce livre était une aubaine, car il y avait un langage nouveau à inventer. Les noms des personnages, des objets et des sorts étaient drôles et très évocateurs. Mon travail passé sur des romans d’aventures et d’heroic fantasy m’a été très utile. C’était littéralement passionnant. » Il compose son petit glossaire personnel tout en respectant l’esprit de l’autrice. « Il y a des noms qui veulent dire quelque chose en anglais : ceux-là, je les change pour transmettre au lecteur français l’idée qui est celle de l’autrice. » Et de donner l’un des exemples le plus emblématique : « Hogwarts, l’école des sorciers, est devenue Poudlard en français. En verlan, Hogwarts signifie phacochère – wart hog. Hog signifie porc, et wart, verrue. J’ai cogité : un porc peut être du lard, une verrue, un pou. Poux de lard. Poudlard. »

 

Si le traducteur donne sa petite musique à la langue de J.K. Rowling, c’est le dessinateur Jean-Claude Götting qui est sollicité pour réaliser les dessins de couverture. Sa griffe esthétique laissera son empreinte sur toute une génération. « Je venais de faire un livre anglais pour Gallimard Jeunesse qui s’appelait Hariette l’espionne, il y avait un ton et un humour proches de Harry Potter, c’est peut-être pour cela qu’on me l’a proposé. Je n’avais pas compris, au départ, que ça serait une série. Pour les trois premiers, mes propositions étaient très libres et très éloignées des couvertures originales. Ce n’est qu’à partir du rachat des droits par le studio Warner, au quatrième tome, que ça a pris une autre ampleur, les dessins devaient être validés. Tout est devenu secret, on n’avait plus accès aux traductions. Pour le sixième, je n’ai pas eu le temps de lire du tout… »

 

En 2000, en effet, le quatrième tome marque une rupture. « C’est à cette date qu’ont commencé les lancements internationaux, rappelle Hedwige Pasquet. Et c’est aussi à ce moment-là que l’on a édité le premier grand format. » Une petite révolution dans le monde de l’édition jeunesse qui, jusque-là, privilégiait « des textes plus courts et des intrigues plus simples », précise-t-elle. « L’idée, c’était de créer des titres exceptionnels, de faire sortir Harry Potter du format poche, pour lui donner de l’ampleur et une forme de reconnaissance dues à sa notoriété grandissante. » D’abord stimulées par un exceptionnel bouche-à-oreille, au Royaume-Uni comme en France, les ventes de Harry Potter explosent dans le monde entier, grâce notamment au succès des adaptations cinématographiques.

 

« C’est un récit initiatique qui a fait plonger des millions d’enfants
dans un nouvel imaginaire … et, pour beaucoup, dans la lecture tout court.»

 

© Debra Hurford Brown

Mais pas seulement. Car si personne n’aurait pu prédire le destin prodigieux du petit sorcier (pas même sa créatrice, comme elle a eu souvent l’occasion de le répéter), c’est aussi et surtout ses qualités littéraires intrinsèques qui l’ont mené sur les rails de ce triomphe planétaire. « J.K. Rowling a un imaginaire époustouflant, reprend Hedwige Pasquet. Non seulement elle a eu cette idée d’accompagner son héros durant ses sept années de collège, mais elle a su faire évoluer le contexte. Elle avait les sept livres en tête dès le début, ce qui démontre une aisance narrative incroyable. Si mes souvenirs sont bons, elle avait enfermé la fin dans un coffre. Son inspiration était incroyablement riche. C’est un roman d’aventures, d’apprentissage, un conte de fées… »

 

Pour Jean-Claude Götting, « c’est un univers qui mélange celui de l’école – avec des professeurs chiants ou des cours agaçants – avec l’univers de la magie. Le mélange des deux est génial. Tout le monde rêverait d’aller dans une école pareille. Il y a aussi le talent de J.K. Rowling à raconter des histoires. J’ai été fasciné par la capacité de cette autrice à avoir autant de suite dans les idées. Quelque chose évoqué au premier tome est éclairci au dernier. Il faut avoir un sacré sens de l’écriture pour cela. »

Vingt-cinq ans après la sortie du premier tome, le monde magique de Harry Potter continue de faire scintiller les yeux des jeunes (et moins jeunes) lecteurs. Décliné en films, en pièces de théâtre, en livres documentaires, en éditions multiples, Harry Potter est devenu un objet culturel à part entière, une mythologie à lui tout seul. « Le succès de Harry Potter interroge beaucoup, observe Hedwige Pasquet. Est-ce un succès éditorial ou un succès marketing ?, nous demande-t-on souvent. C’est tout sauf un succès marketing. J.K. Rowling est une autrice, elle possède l’imaginaire et le talent d’une autrice. C’est ça qui fait la différence. Si ce n’était qu’un succès marketing, il y en aurait beaucoup d’autres. L’arrivée en grand format a suscité de la méfiance, vite balayée devant l’intérêt des enfants et la reconnaissance de la qualité de l’écriture. »

Succès universel et intemporel, Harry Potter a su parler à toutes les générations. « Aujourd’hui, les premiers lecteurs lisent la saga à leur propre enfant, observe Hedwige Pasquet. Notre responsabilité désormais, c’est de le faire vivre, notamment à travers les nouvelles couvertures ou la déclinaison de son univers dans différentes éditions. » La baguette de Harry n’a pas fini d’exercer sa magie.

 

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