Entretien

Publié le 07/07/2020

Isabelle Pandazopoulos nous parle de "Trois filles en colère"

Entretien avec Isabelle Pandazopoulos au sujet de "Trois filles en colère"
25 octobre 2017

Quelles sont les sources d’inspiration de ce roman ?
Il se trouve que je suis née en France d’un père grec et d’une mère allemande. Je suis donc de fait liée à chacun de ces pays et à leur Histoire et donc particulièrement sensible à l’Europe, à une identité européenne. Ce qui ne veut pas dire que je raconte ici l’histoire de ma famille ou de mes parents qui est différente à bien des égards. J’ai adoré faire des recherches en bibliothèque, questionner des amies grecques, faire le voyage à Berlin… Un bonheur que l’écriture permet… avant de se mettre à écrire…

Vous avez choisi la forme épistolaire pour ce récit ? Pourquoi ?
Je suis lectrice avant d’être écrivain. J’ai un souvenir ébloui des grands romans épistolaires du 18ème. Émerveillée par ma lecture des Liaisons dangereuses… J’ai encore la sensation de mon impatience, de ma fébrilité de lectrice, de ce lyrisme que la forme épistolaire permet, mais aussi du plaisir à être au plus près de la vie des personnages, dans le flux d’une vie qui est saisie et qui se donne à voir (de façon illusoire) dans l’instant.  Et je crois, enfin, je me découvre de livre en livre, un goût pour des récits à voix multiples. Bien loin d’une littérature qui délivrerait une vision du monde unique et univoque. Bien loin aussi du bon sens et des vérités toutes prêtes. Comme si le monde, la vie, les gens et leurs histoires, ne pouvaient être saisis que dans la pluralité de ce qu’ils sont, une manière de rendre palpable la complexité sans laquelle il n’y a pas de « vie vraiment vécue ».

Pourquoi avoir situé l’intrigue en amont des événements de mai 68, dont le cinquantenaire sera bientôt célébré ?
Mai 68 était à la fois prévisible et totalement imprévisible. La révolte de Suzanne et de Magda grandit au rythme et à l’unisson du monde. Pour elles, Mai 68 surgit comme une question, brutalement, soudainement, comme tous les événements qui ne dépendent pas de nous. Pour la grecque Cléomèna, c’est un peu différent. Cet événement la ramène au contraire à toute son histoire familiale, au passé, à la lutte qui est celle de son peuple. C’est la nature même de ce qu’on nomme un événement. Il s’impose à nous, et il impose un changement, une autre manière de vivre et de penser. Comment naît la conscience politique ? Comment et pourquoi se sent-on concerné ? Le monde en 68 vibrait pour la liberté, rêvait d’une autre manière de vivre, d’autres rapports sociaux etc… On caricature cette période qui a traumatisé le pouvoir en place, on en dit tout et son contraire et surtout on n’en finit pas d’essayer de lui donner un sens. Mais ça résiste et ça continue de résister.  C’est sa force et c’est la force de toutes les révoltes. Moi, ce que j’ai vu et lu dans les archives c’est d’abord une explosion de questions, de mots, de plaisir… et d’insolence !! Quelle joie !

En étalant ce récit sur deux années, je voulais prendre le temps de déployer les doutes et les hésitations, les enfermements et les prises de conscience qui font de mes trois filles à la fin du roman des femmes aspirant à la liberté.

Pourquoi avoir élargi le récit à plusieurs pays d’Europe ?
Qui connaît aujourd’hui, un peu d’histoire de la Grèce contemporaine ? Qui sait que les communistes ont été persécutés et déportés par ceux-là même qui avaient soutenu l’Allemagne nazie pendant la guerre ?

C’est la première raison. On ne connaît rien de l’histoire de nos voisins. Or il me semble qu’on ne peut envisager construire une identité européenne sans raconter des histoires… Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qui nous lie ? Qu’est ce qui nous fonde ? Mais aussi qu’est ce qui nous sépare ? Cela m’a amusée de constater qu’à une même époque les communistes en Allemagne inventaient la surveillance de tous les citoyens tandis que les communistes grecs incarnaient la lutte et la résistance contre le fascisme et la dictature des Colonels. Il me semble que, pour nous adultes, mais pour plus encore pour la Jeunesse, ces faits européens éclairent les mouvements qui agitent notre continent aujourd’hui.

Les principaux personnages du roman sont essentiellement des femmes ? Sur plusieurs générations ? Pour quelle raison ?
Mai 68, c’est aussi (et surtout) ( en tous les cas pour moi) la naissance du mouvement féministe… Les mentalités changent, le plaisir, la liberté, le travail des femmes, l’égalité, sont au cœur des discussions dans toutes les lieux où la jeunesse se rencontre. Ce combat-là est toujours à mener. Alors debout ! Qu’on se le dise…. On ne reviendra pas en arrière sur le droit que les femmes ont acquis, ( pilule, avortement y compris ) Et on lutte et on continue de lutter pour que reculent et se taisent enfin tous ceux qui voudraient qu’il en soit autrement !!

Le livre est à la croisée des chemins entre fiction historique, photographie d’une Europe de la fin des années 60, roman de l’intime. Plaidoyer pour la liberté. Comment le présenteriez-vous à vos lecteurs ?  
Un roman qui serait au plus près du mouvement de la vie où se mêlent tous les jours tous ces éléments-là… Peut-être que de manière plus secrète il y est question du lien. L’amitié qui existe entre « mes »trois filles perdure au-delà des séparations, au-delà des frontières, au-delà des conflits. Les lettres s’écrivent pour pallier à l’absence… C’est aussi un livre qui raconte une belle histoire d’amour… impossible mais tellement intense et lumineuse comme le sont les vraies histoires d’amour. Alors, je crois que je leur dirais… que c’est un livre qui cherche à explorer le plus librement possible, les chemins qui mènent à la liberté, celle à laquelle chaque être humain aspire.

Vous y abordez les thèmes de l’éducation des femmes et leur émancipation dans la société, de la menace des extrémismes qui grondent, d’un certain idéal européen, mais avant tout, de la liberté sous toutes ses formes. Voulez-vous délivrez un message ?
Absolument ! Même si j’espère que ce roman ne donne pas de leçons… Je voudrais juste qu’on soit gagné par son souffle… Qu’on en sorte vivifié, léger, contestataire, enthousiaste… Qu’un peu de cette joie, de cette insouciance et cette insolence d’hier nous portent aujourd’hui vers demain.

Vous avez souhaité que des photos, cartes, articles de journaux, documents d’époque, lettres et cartes postales manuscrites ponctuent ce récit épistolaire. Dans quel but ?
Le livre, ce livre-là, est un objet en soi… Il me semble qu’il est vivant. Et plus moderne comme ça, même si il parle du temps d’avant… Le monde tel qu’il se montre est pluriel. L’histoire pour se construire est faite de traces, de mots écrits, qui sont autant de témoins d’une époque… Mes parents sont des exilés. Mes grands-parents plus encore… Ils sont tous arrivés avec leur valise. C’était tout ce qu’ils avaient pu garder de leur histoire, de leur pays… Et moi j’adore les valises… et les lettres…

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