Entretien

Publié le 02/07/2020

Interview de Frederick Peeters autour d’Aâma

Après Lupus, Frederik Peeters revient à la science-fiction avec une série puissante qui mêle aventure, suspense et réflexions sur l’hypertechnologie. La confirmation de son talent éclectique !
19 octobre 2011

On retrouve dans toute votre oeuvre les thèmes du temps qui passe, de la dégénérescence physique, ce sont des sujets qui vous tiennent à coeur ?
Le temps qui passe, c’est certain. Au départ, je pensais que ce n’était une préoccupation qu’en tant que principe narratif. J’en ai fait le thème de plusieurs histoires courtes, et puis j’ai toujours aimé jouer avec les flash-back, les ellipses et les dilatations pour dynamiser une histoire. Et c’est une question très intéressante à traiter avec le médium bandes dessinées, qui impose un mécanisme de lecture particulier. Mais avec le temps (eh oui…), je dois bien constater que ce thème me travaille aussi dans mon rapport au monde et à la vie. Mes enfants qui grandissent, qui muent, mon corps qui change, mes parents qui vieillissent, l’évolution des rapports filiaux, l’abandon de ses rêves de jeunesse, l’usure de la capacité d’émerveillement, la vie de couple à long terme, toutes ces questions sont de plus en plus présentes dans mes livres. Aâma est une tentative d’intégration de tous ces sujets dans un vrai récit d’aventures exaltant.


Quelles ont été vos influences pour créer le monde d’Aâma ?
Au plus profond, il y a probablement mes lectures d’enfant, ainsi que les grands films de SF de ma jeunesse, ceux que tout le monde connaît. Et puis les livres que j’ai découverts plus tard : Bradbury, Ballard, Aldiss, et beaucoup Stefan Wul, dont l’univers poétique atypique est plus proche de la rêverie pure que des propos martiaux fascisants que l’on retrouve souvent dans la SF anglo-saxonne. Mais en fait, plus concrètement, mes envies me portent vers le roman d’aventures classique, les récits d’aventuriers du XIXe et du début XXe.Les noms des deux personnages principaux sortent d’un livre de Conrad, par exemple. Et en même temps, j’ai essayé de concevoir un univers SF en puisant dans des sources graphiques inattendues, comme l’art contemporain, ou la peinture du XVIIe siècle. Beaucoup de personnages, de costumes ou d’ambiances lumineuses d’Aâma proviennent de tableaux classiques. Et puis les voyages bien sûr. Aâma est un récit de voyage. J’aime que le personnage principal soit en mouvement, cherche quelque chose, cela donne un formidable moteur à la lecture. Il y a un an, je suis parti en Égypte pour trouver ce genre d’énergie et nourrir le livre.

Savez-vous combien de tomes comportera la série ?
Non, cela dépendra de plein de choses. Mais le tome 1 commence par la fin. Ou par une fin pour être précis. Je pense qu’il me faudra trois tomes de 84 pages pour retomber sur cette fin du début, pour boucler la boucle. Ce qu’il y a au-delà de cette boucle, je n’en connais pas encore l’ampleur. Je peux tout terminer dans un quatrième tome, mais si la série plaît aux gens et si je m’amuse comme je l’espère, il est tout à fait possible que ces trois premiers tomes ne soient qu’une introduction à une très ample saga de dix tomes. Dans ma tête, j’ai de quoi faire en tout cas. Je n’ai pas envie de renverser les codes de l’aventure SF comme dans Lupus, j’ai envie d’y aller à fond, d’assumer l’aventure épique et les péripéties feuilletonesques.
Vous alternez récit en couleur et en noir et blanc, qu’est-ce qui vous a décidé à mettre Aâma en couleur ?
Lupus était une sorte d’antirécit d’aventures, qui retournait les codes SF comme une chaussette. Il fallait qu’il soit en noir et blanc. Lupus est presque le revers de la médaille Aâma. Pour moi, la SF est un genre coloré, même en littérature. Et je ne voulais rien brider, tout assumer pour donner du souffle et de l’ampleur. Les dessins sont aussi beaucoup plus poussés, les originaux beaucoup plus grands. Je voulais retrouver la jouissance purement graphique que j’éprouvais gamin en lisant Métal hurlant. Aâma est une histoire à lire, mais aussi un livre à regarder, je veux que l’on puisse s’arrêter sur les cases et se mettre à rêvasser, que l’on soit tenté de se perdre dans les décors que ces gens traversent, et d’y rester avec eux.

 

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