Entretien

Publié le 29/06/2020

Entretien avec Pierre-Marie Beaude sur "Laomer"

Pierre-Marie Beaude répond à à nos question sur "Laomer"
14 mai 2018

Comment en êtes-vous arrivé à écrire ce roman ?
L’idée m’en est venue après avoir lu et adapté l’oeuvre de Chrétien de Troyes. J’ai publié en effet Yvain le chevalier au lion et Lancelot ou le chevalier à la charrette dans la collection « Folio Junior. Textes Classiques », dirigée par Jean-Philippe Arrou-Vignod. J’aime beaucoup le Moyen-Âge, je me passionne pour les vieux films tels Ivanhoe et Robin des bois, que je voyais déjà quand j’avais dix ans, mais aussi pour les films de Ridley Scott et autres réalisateurs.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans l’écriture du roman ?
Le choix de la langue a été une des difficultés. J’ai écrit dans une langue qui n’a pas grand chose de moyenâgeux, c’est clair. Mais j’ai gardé pas mal d’expressions du temps, bien sûr, et veillé à ne pas commettre trop d’anachronismes. En tant que romancier, je me suis naturellement éloigné parfois de la vérité historique.

Pouvez-vous préciser ?
Le latin était largement répandu, sous une forme qui n’était plus celle de Cicéron, bien évidemment. Mais d’autres langues existaient, les langues romanes par exemple, comme celle qu’utilise Chrétien de Troyes. Pour faire communiquer mes personnages venus de différents pays, j’ai suivi la façon de faire des films sur le Moyen-Âge ou sur l’Antiquité : j’ai simplifié. Autrement, on se perdrait dans des difficultés infinies. Mes personnages communiquent entre eux plus facilement que ce ne devait être le cas.

Vous avez cherché à éviter les anachronismes, dites-vous. En est-il resté dans votre roman ?
J’ai fait des anachronismes conscients en me revendiquant de la liberté de romancier. L’île de Tombelaine, par exemple, où je suis allé en traversant les grèves du Mont-Saint-Michel, n’était sans doute pas, au XIIIe siècle, l’île nue que je décris. On y avait construit un prieuré et une chapelle dont les pierres servirent, plus tard, à la construction du Mont-Saint-Michel. J’ai préféré garder la vision que j’ai eue en m’y rendant trois ou quatre fois dans les années 2000 : une île habitée par les oiseaux, en particulier les tadornes de Belon. Autre exemple : j’ai donné pour auteur aux livres de magie du Grand et du Petit Albert, le nom d’Albert le Grand, théologien du XIIIe siècle bien connu, qui fut le maître de Thomas d’Aquin. En fait, ces livres proviennent d’une compilation de traditions qui commencent certes au XIIIe siècle, mais se continuent jusqu’au moins la Renaissance. Il est admis généralement que quelques chose d’Albert le Grand ait pu y être inclus. Ce n’était pas rare, jusqu’à la Renaissance, de voir des théologiens s’adonner aussi à l’alchimie et à des sciences expérimentales quelquefois aventureuses. Enfin, j’ai revendiqué ma liberté de romancier à propos de l’organisation des terres du Nord. Les petits hommes aux chiens existaient-ils au XIIIe siècle ? Je suis allé au Groenland et dans les provinces maritimes du Québec comme celles de Terre-Neuve et Labrador. J’ai appris que les techniques de pêche en mer et sur la glace furent transmises aux Inuits du Groenland, par des Inuits venus du Canada, beaucoup plus tardivement que le XIIIe siècle. Une dernière prise de liberté par rapport à l’histoire : il existe à cette époque deux grands inquisiteurs, l’un habite Paris et l’autre Toulouse. À Orléans, ce serait plutôt un inquisiteur parisien qui devrait interroger Pernelle. Mais j’ai préféré parler d’un inquisiteur venant d’Aquitaine, terre bien connue pour les cruautés inquisitoriales envers les hérétiques (Albigeois, Cathares). Il se peut que j’aie aussi laissé traîner quelques anachronismes à mon insu. Mais j’ai tenté de respecter l’histoire et la chronologie chaque fois que je le pouvais.

Pourquoi une nouvelle histoire de Lancelot ?
Lancelot est un personnage de légende et l’on ne compte plus les livres ou les films qui l’ont mis en scène. J’ai beaucoup aimé, celui de Robert Bresson, sorti en 1974, très étrange, trèsfascinant. Je crois que chaque artiste a le droit de chercher à continuer la légende, à imaginer des aventures nouvelles. Je suis donc parti du personnage de Lancelot amoureux de la reine Guenièvre, pour leur bonheur et leur malheur, et j’ai continué l’histoire à ma façon, en partant du moment où Lancelot quitte la cour du roi Arthur Pendragon. Auprès de lui, j’ai posé quelques figures célèbres des légendes arthuriennes comme Morgane, Viviane, Calogrenant, chevalier de la Table ronde. Puis je me suis demandé comment l’aventure pouvait continuer dans la seconde génération, celle des fils. Ils doivent vivre leur vie, répondre aux questions de leur temps qui ne sont plus tout-à-fait celles de leurs parents. Des guerriers nordiques viennent ravager les côtes d’Écosse et d’Irlande, le monde se découvre plus vaste qu’on ne le pensait. Mes héros vont voyager, aller en Sicile, à Venise, et jusque derrière la mer des Brumes où se cachent les Nordiques. Ils vont découvrir d’autres façons de vivre, hors du monde de la chevalerie. L’action se situe précisément au temps de Marco Polo. Et ce n’est pas un hasard si je le fais rencontrer à l’enchanteresse Morgane quand elle se rend à Venise. Plus de deux siècles avant Christophe Colomb, le négociant Nicolo Polo, son frère Matteo et son fils Marco voyagent jusqu’en Extrême-Orient. Ce sont eux qui fournissent à Morgane une carte des pays du Nord qui l’éclaire sur la géographie réelle de régions demeurées longtemps mal connues. En lisant votre roman, on se demande parfois si on n’est pas plus près de la Renaissance que du Moyen- Âge. On a formalisé les périodes de l’histoire occidentale de façon tranchée, et accordé dix siècles pour le Moyen-Âge à, lui tout seul ! Il n’est pas difficile d’imaginer qu’en tant de siècles, les choses puissent être différentes ! Le XIIIe siècle, où je situe l’action du roman, est plus proche de la Renaissance que des débuts du Moyen Âge : depuis 476, date de la mort du dernier empereur romain d’Occident à la découverte de l’Amérique en 1492, c’est un monde qui se défait et se reconstruit différemment. Notons aussi que ce que appelons Renaissance est un phénomène qui se prolonge. Elle commence tôt en Italie, est plus tardive dans les pays du Nord comme la Flandre. On la situe généralement aux XVe et XVIe siècles, mais Giotto, qui est né en 1267, est un de ces artistes qui annoncent déjà la Renaissance que, faute de mieux, on flanque d’une «Prérenaissance». Disons qu’il existe beaucoup d’éléments de « Prérenaissance » au XIIIe siècle. Giotto n’a plus la vision du monde médiéval, il met l’homme au centre. Voyez ses peintures : les corps prennent du volume, les mollets tournent, les pieds sont bien posés à terre. Voyez le campanile, à Florence, où Giotto a travaillé comme maître-maçon ; il n’a rien à voir avec les cathédrales gothiques. Mon roman fait la part de ces aspirations de Pré-renaissance qu’on trouve en plein XIIIe siècle.

La génération des « fils » des chevaliers de la Table ronde paraît plus ouverte sur les problèmes
sociaux. Confirmez-vous ce point de vue ?

C’est exact. J’ai voulu montrer une société faite non seulement de chevaliers, mais aussi de clercs, d’étudiants, de savants, de saltimbanques, de commerçants, de voyageurs, de pèlerins. Et surtout, j’ai imaginé pour certains d’entre eux la possibilité de passer d’une classe sociale à l’autre. C’est le cas de Robin, fils d’éleveurs de moutons sur les grèves du Mont-Saint-Michel, qui va à l’école de l’abbaye, puis se rend en Champagne, où il devient membre de la cour. C’est le cas de Pernelle, comédienne ambulante, jongleuse, qui devient femme de châtelain. Mon idée était de montrer que la conduite très transgressive de Lancelot, amoureux de la femme du roi, pouvait augurer d’autres transgressions sociales, comme les deux que je viens de citer. C’est d’ailleurs dans le château de Lancelot que la jongleuse Pernelle et le jeune chevalier Ael vont trouver le lieu pour vivre leur amour, malgré des origines sociales qui ne devraient pas les conduire à se rencontrer pour une vie commune.

Il y a beaucoup de choses dans ce roman à propos de la magie et de la science. Ces mondes sont-ils différents ?
Oui, j’ai eu plaisir à faire se côtoyer des mondes différents, celui de l’Église et de l’Inquisition qui veille à la pureté de la foi chrétienne et pour cela instaure des tribunaux, des peines d’emprisonnement, des tortures pour faire avouer, des bûchers. On maintient ainsi une doctrine « pure », contre laquelle il ne fait pas bon aller. Cela n’empêche pas les hérésies de prospérer, ni les pratiques des sciences occultes de continuer. Il existe une médecine naturelle, celle des «herbistes » qui cueillent des plantes et se transmettent des recettes tirées des pratiques populaires, telles qu’on peut en lire dans le grand et le petit Albert. En opposition à ces pratiques populaires de médecine et de magie plus ou moins agressives, j’ai campé aussi la science qui se cherche et progresse. Le personnage qui représente cette science est le médecin Jean Arpange. Un homme que j’ai fait étudier à la vieille Faculté de médecine de Montpellier, féru des Anciens, tel Aristote qu’on redécouvre alors, et désireux d’observer et de raisonner. Mon roman multiplie donc les points de vue sur cet univers très riche où tout le monde, loin de là, n’a pas les mêmes convictions ni les mêmes pratiques. L’enchanteresse Morgane, qui tient un grand rôle dans mon roman, cultive, elle, ses racines celtes, loin de l’Église, croit aux bienfaits de la nature, désire un monde de paix et passe sa vie à contrer les injustices. On la voit ainsi au premier rang quand il s’agit de sauver une pauvre jongleuse des griffes de l’Inquisition.

Que diriez-vous, en bref, pour résumer votre roman ?
Pour autant qu’on puisse résumer un roman, je dirais que Laomer campe un monde qui est beau, vaste, dans lequel construire son bonheur et celui des autres est la quête de toute une vie.

 

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