Chronique

Publié le 23/05/2019

Une quête identitaire à découvrir sans hésiter

It - Catherine Grive

À sa naissance, ses parents l’ont baptisée Joséphine. Mais, quatorze ans plus tard, tous ses proches utilisent le diminutif « Jo ». Et au lycée, ses camarades la surnomment « It ». Oui, « It », comme le pronom indéfini. Et c’est justement parce qu’il s’agit d’un pronom non genré que Jo les laisse l’appeler comme ça. Car elle a beau être née dans le corps d’une fille, son look de “garçon manqué”, construit au fil des années, trahit la façon dont elle-même se perçoit : elle se sent garçon.

« Ils croient me vexer, c’est le contraire. Ce neutre me convient.”

Et puis, tout bascule le jour où un incendie ravage son appartement. Souvenirs d’enfance, jouets de petite fille et vêtements partent en fumée. Des objets dont elle s’était déjà détachée, en grandissant. Seul son carnet à dessin compte véritablement à ses yeux. Par réflexe, Jo a pensé à l’attraper avant de quitter sa chambre. Ses parents, eux, n’ont rien emporté. Mais bientôt, la culpabilité et le doute la prennent d’assaut : et si elle était responsable de cet incendie dans lequel sa famille a presque tout perdu ?

« Ai-je bien éteint l’allumette ? Et qu’est-ce que j’ai fait du Zippo ?”

Petit à petit, les pièces du puzzle se mettent en place : on découvre les évènements qui ont précédé l’incendie. Et les secrets, que Jo gardait jusqu’alors pour elle-même, se dévoilent à leur tour. Il y a ces après-midis passés chez Heidi, sa vieille voisine, à écouter les histoires qu’elle lui racontait, à discuter en secret. Mais aussi cette impression tenace, profonde et sincère, de ne pas être une fille mais un garçon.

« Chaque fois qu’on me prend pour un garçon, je ne peux m’empêcher d’en ressentir une forme de fierté, de soulagement, de justesse.”

D’une certaine façon, Jo se fait l’incarnation du phénix : car oui, elle renaît un peu de ses cendres. Et surtout, elle va rendre publique sa véritable identité, arrêter de se cacher. Pour ne plus se sentir dans une coquille qui n’est pas la sienne, pour ne plus avoir l’impression de porter un masque, pour, enfin, arrêter de se cacher.

« Le jour de la rentrée, à l’énoncé de mon prénom, le nouveau prof balayait la classe du regard sans s’arrêter sur moi, cherchant une tête de fille.”

Une coupe de cheveux, des vêtements achetés au rayon homme, une gestuelle plus masculine … Ses parents pensaient qu’elle était simplement “garçon manqué”. Quand Joséphine parvient enfin à leur dire qu’elle EST un garçon, le choc est rude. Que faire de cette annonce ? Comment ne pas être maladroits ? Pourtant, il faudra bien le leur faire accepter. Existe-t-il une explication rationnelle qui soit porteuse de cette vérité ? Quels mots employer ? Comment ne pas blesser ?

« Le contraire de « garçon manqué », c’est quoi ? Une fille réussie ? Et si une fille est ratée, c’est pour quelle raison ? Parce qu’elle est un garçon ? Parce qu’elle est un garçon et une fille à la fois ?”

À travers la plume de Catherine Grive, on réalise à quel point le parcours vers la revendication de sa véritable identité, qu’on soit né garçon dans le corps d’une fille, fille dans le corps d’un garçon, ou qu’on ne se sente ni véritablement fille ni véritablement garçon, est long et semé d’embûches. On prend conscience du rôle crucial qu’ont les parents et les amis tout au long de ce chemin. On comprend, aussi, qu’il est parfois difficile d’accepter la vérité, tout autant que de faire accepter la vérité.

“Le miroir me renvoie une image qui me plaît, qui me correspond. Il a été tellement difficile d’y parvenir. Je suis fier de moi. En revenant à la table, je les entends chuchoter. Parlent-ils de moi ? En bien ? En mal ? Oh et puis, je ne veux pas le savoir.”

It, c’est un roman qui dépeint avec une justesse rare une quête d’identité. Sait-on vraiment qui l’on est, à quatorze ans ? Sait-on qui l’on sera pour le restant de notre vie ? À travers le personnage de Jo, on se remémore cette tranche de vie si particulière qu’est l’adolescence, durant laquelle on apprend à se connaître soi-même et où on ne peut plus tricher. Une chose est sûre : que vous soyez concerné directement ou non par la question de la transidentité, cette lecture laissera sans conteste une trace indélébile dans votre cœur !

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