Chronique

Publié le 17/01/2019

Un parcours émouvant vers la réconciliation et la reconstruction

La fille du monstre - Florence Aubry

Quand j’ai ouvert La Fille du monstre pour la première fois, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Je me suis laissée embobiner par le titre, accrocher par son aura mystérieuse et intrigante. Les premières lignes m’ont laissées un peu perplexe : quoi, encore un journal d’ado ? Je ne voyais pas où ça allait m’amener. Je l’ai envisagé, d’emblée, peut-être banal ou rébarbatif.

La fille du monstre est beaucoup de choses, mais certainement pas banal ou barbant. En fait, il m’a complètement happée, très vite, à peine quelques pages après la couverture. C’est un livre, oui, encore un journal, peut-être, mais un comme ça, je n’en avais jamais lu.

Je suis sûre que la petite fille de neuf ans que j’étais fut la première personne avec qui ma mère parvint à partager ce secret bien trop lourd pour elle : elle n’aimait plus son mari.

Tess est la fille unique de Bénédicte et Marino. Elle a douze ans lorsque le couple de ses parents vole en éclats. Voilà, c’est dit : Bénédicte n’aime plus son époux et souhaite qu’ils se séparent. Le monde s’écroule. Celui de Tess, celui de Marino. L’incompréhension et le désespoir le poussent à commettre un acte incompréhensible, irréfléchi, dont la violence affectera désormais la vie de Tess.

Pendant longtemps, j’ai été la fille de Bénédicte et Marino. J’étais la fille de l’amour, de la légèreté, du jeu, de la joie, de l’insouciance, de la tendresse. Comme il y avait la fille de l’instituteur, la fille du menuisier, le fils du garagiste, il y avait moi, la fille de l’écrivain. Mais ce jour-là, sous les néons agressifs de cette supérette vouée à la disparition, je suis devenue « la fille du monstre ».

De ce drame, Tess tire peu de leçons du fait de son jeune âge, mais énormément de douleurs. Il lui faudra désormais vivre avec. Cohabiter avec l’étiquette que le reste du monde lui colle. La fille du monstre. Apprendre à vivre avec la honte, la colère, la tristesse, avec le regard des autres, avec ses propres conflits intérieurs. Comment aimer encore ce père qui l’a trahie ? Où trouver la force de pardonner ? Pour Tess, c’est un long parcours vers la réconciliation qui commence, et que nous suivons au fil des pages : sa construction en tant que personne à travers la reconstruction de son lien avec son père.

Elle a ouvert la porte et m’a fait entrer dans la chambre comme si cette visite était une visite comme les autres. Sauf que c’était juste le jour du tsunami. Le jour de la collision avec un astéroïde, le jour du grand tremblement de terre. Le jour où j’ai perdu mon père.

Même si c’est écrit dans le résumé, je n’ai pas envie de vous dire exactement ce qu’a fait ce père pour mériter qu’on lui dédie quelques 190 pages. Comme je le disais au début, j’ai choisi de me laisser surprendre par ce roman de Florence Aubry, et je pense sincèrement que c’était le bon choix. Car, comme un voltigeur qui se joue de la gravité, l’auteure se joue de nous et de nos interrogations, réservant autant que possible l’effet de surprise sur les agissements du père. Un peu comme Tess, on nous refuse le droit de voir, d’admettre la vérité, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus reculer et qu’il faille se la prendre en pleine figure, comme une porte qui claque.

Mais là, c’est chaque jour que l’on est mises à terre, à chaque regard que l’on pose sur cette tête inhumaine. Chaque jour, il faudra supporter la douleur d’avoir mon père, parce que mon père d’avant, je l’ai perdu définitivement.

Qu’est-ce que qui fait l’identité d’un tel ouvrage, finalement ? La plume vive et versatile de l’auteure, incroyable de maturité, de finesse, capable de se glisser tantôt dans la peau d’une ado en pleine rébellion, tantôt dans l’âme d’un poète ? La voix du personnage principal, que l’on sent grandir au fil des pages, des chapitres, au gré du temps qui passe, dans les changements subtils de sa façon d’écrire, de penser, dans ses moments de colère, de tristesse ou de joie ? Le sujet, peut-être, aussi ? L’incroyable mystère qui ne se construit de rien, se dénoue doucement, nous surprend et nous apparaît à la fois comme une évidence. L’histoire de cette relation père-fille détruite si tôt, si vite, si brutalement ?

J’entends juste « …la fille du monstre… ». Ça me rentre dans le ventre, ça me traverse et ça m’ouvre en deux, ces mots.

Si vous le pouvez, faites comme moi : courrez chez votre libraire, attrapez le livre sur l’étagère et tel Orphée quittant les enfers, ne le retournez pas. Gardez ce suspens si précieux qui ne le rendra que plus savoureux. Installez-vous confortablement, parce que vous ne pourrez plus le lâcher une fois qu’il sera ouvert. Vous allez sourire, un peu. Vous risquez de pleurer, aussi. Mais vous allez vibrer, c’est sûr, parce qu’il s’agit d’un livre magnifique, d’une puissance rare, sans concession et sans équivalent.

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