Chronique

Publié le 05/03/2020

Quand la fiction révèle les tensions entre Histoire et Mémoire…

Hôtel Castellana - Ruta Sepetys

Après Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre et Le sel de nos larmes, Ruta Sepetys nous émeut à nouveau avec Hôtel Castellana, son dernier roman historique. Une nouvelle fois et avec toujours autant de talent, l’autrice s’évertue à mettre en lumière les évènements parfois oubliés de l’Histoire.

Hôtel Castellana, c’est avant tout une immersion d’une justesse et d’un réalisme incroyables dans l’Espagne franquiste. Dès les premières pages, Ruta Sepetys nous propulse en plein été 1957 : on pourrait presque sentir la chaleur écrasante et distinguer les silhouettes intimidantes des hommes de la Guardia Civil, chargés de maintenir l’ordre imposé par le dictateur Francisco Franco.

« Il y a une part d’ombre, ici. Bien sûr, on vend aux touristes du soleil et des castagnettes, mais Franco a d’autres cordes à son arc. »

Mais Hôtel Castellana, c’est aussi une palette riche en couleurs de personnages qui prennent vie tour à tour sous la plume de l’autrice. Au fil de notre lecture, on découvre leurs rêves, leur passé, leurs espoirs et, surtout, les secrets qu’ils tentent de dissimuler.

« Le monde de l’hôtel est un conte de fées. Ce n’est pas notre monde. »

Il y a d’abord Daniel, un riche Américain de 18 ans passionné de photographie, mais qui semble condamné à reprendre la tête de l’entreprise familiale. Petit à petit, l’adolescent plonge dans les coulisses de l’hôtel où sa famille séjourne. Là, il fait la connaissance d’Ana, une femme de chambre aussi serviable que discrète, victime de messages de menace mais résolue à ne rien révéler de son passé.

« En de rares occasions, quelqu’un interroge Ana sur la guerre civile. Elle change alors poliment de sujet. Non seulement c’est la règle, à l’hôtel, mais elle l’a promis à sa sœur. »

Le contraste est flagrant : en apparence tout les oppose. Il est fortuné et jouit des nombreux droits accordés aux Américains ; elle a grandi dans une Espagne où règne une oppression qui a été fatale à ses parents. Malgré ces différences, leur histoire d’amour naissante va faire découvrir à Daniel une nouvelle facette du pays : celle d’une génération entière vouée au silence et à la peur. L’adolescent tient là un sujet en or pour un projet de photojournalisme qui va le conduire à mettre des images et des mots sur les maux dont le peuple espagnol est victime.

« Certains d’entre nous veulent désespérément préserver le souvenir, tandis que d’autres cherchent désespérément à oublier.»

Il y a aussi Rafa, employé d’abattoir le jour et fossoyeur la nuit, qui tente d’oublier les horreurs du passé en soutenant son meilleur ami Fuga dans ses efforts pour devenir matador. Puri, élevée selon les valeurs imposées par la dictature mais dont l’esprit est dévoré par trop de questions laissées sans réponse. Julia, qui s’applique à protéger les siens et à sortir sa famille de la misère qui gangrène le pays. Et Nick, fils d’un diplomate américain, aussi imprévisible que doué pour garder les secrets des autres.

« Tous les jours, Rafa se choisit un sourire gai et courageux. Il affronte la peur et gagne. Sa victoire temporaire est silencieuse, mais fait chanter son âme. »

À travers leurs regards, Ruta Sepetys nous garde en haleine et lève avec brio le voile sur des faits méconnus, sources de tensions entre Histoire et Mémoire. Préparez-vous à un grand huit émotionnel, un voyage inoubliable rythmé par des souvenirs douloureux et tourmentés, une soif de justice, des moments d’effrois mais aussi des éclats de rire, des instants fugaces de pur bonheur et de véritable courage. Une lecture qui nous marque par son caractère authentique et dont on ressort grandi, d’une certaine façon, grâce au minutieux travail de recherche et de documentation mené par Ruta Sepetys.

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