Chronique

Publié le 01/10/2020

Plongez dans le mystère de la naissance de Lyra

La belle sauvage - Philip Pullman

Charlène, rédactrice On Lit Plus Fort, a lu La Belle sauvage et vous invite à embarquer pour un voyage puissant et poétique aux côtés de Lyra, Malcolm et Alice !

C’est l’un des auteurs jeunesse les plus récompensés du monde. Philip Pullman a reçu, pour son œuvre, le prestigieux prix Whitbread (l’équivalent du prix Goncourt en France) ainsi que la Carnegie Medal, qui récompense le meilleur roman jeunesse anglophone de l’année. Vingt ans après la trilogie « À la croisée des mondes », Philip Pullman tient sa promesse et revient dans l’univers de Lyra avec la maestria qu’on lui connaît. Sa plume affûtée, au style à la fois riche et travaillé tout en restant accessible aux plus jeunes lecteurs, nous livre ici une intrigue profonde et réfléchie aux origines de tout.

Dans La Belle Sauvage, nous retrouvons avec plaisir tout ce qui faisait d’À la croisée des mondes un chef-d’œuvre.

L’univers, tout d’abord : ce monde un peu rétro-futuriste où la religion a supplanté la science et où les humains sont accompagnés d’un « dæmon », entité animale consciente comme une extension de leur âme. Les intérieurs s’éclairent à la lampe ambarique, le ciel bourdonne de zeppelins et la cuisine se fait encore au-dessus de la cheminée, tandis que la science et la physique quantique sont à la pointe d’incroyables avancées qui contrarient les croyances de l’Église.

Les personnages, ensuite : attachants, charismatiques, mais également courageux et vifs d’esprit, les jeunes Malcolm et Alice sont les nouveaux héros de cette histoire. Garants de la sécurité de Lyra, alors toute bébé, ils embarquent à bord du bien le plus précieux de Malcolm, le frêle mais véloce canoë La Belle Sauvage – qui donne son titre au roman – afin de la ramener en lieu sûr. Commence alors un formidable périple sur les flots périlleux de la Tamise en crue, pour protéger Lyra de ceux qui la menacent.

On ne peut s’empêcher de se dire que, quelque part, la bravoure et l’intelligence de Malcolm ont déteint sur la petite Lyra, des années avant ses aventures dans le Grand Nord. Alice, embarquée malgré elle dans l’aventure (ce qu’elle ne se prive jamais de faire remarquer), se révèle d’un calme et d’un pragmatisme incroyable, elle qui, au début du récit, affiche un tempérament de feu qui effraie jusqu’à l’intrépide Malcolm. La tête haute et les idées claires, elle ne cède pas à la peur et devient la force tranquille de ce récit. Pourtant, elle porte une certaine fragilité à fleur de peau, les insécurités de l’adolescence d’une jeune femme de seize ans : elle devient par là-même une héroïne formidable à laquelle s’identifier, parfois plus humaine que le rusé Malcolm. Leur amitié se construit au fil des pages, de la haine à l’amour, avec une justesse et une sensibilité inhérentes à l’art de Pullman.

On retrouve également, avec plaisir et nostalgie, d’autres personnages emblématiques de la première trilogie : Lord Asriel, que l’on découvre sous un tout autre jour, ainsi que la glaciale Madame Coulter et son terrible dæmon le singe doré. Deux caractères bien trempés qui nous font à nouveau frissonner de peur et d’excitation mêlée, car assurément, ces deux-là ne nous laissent jamais indifférents !

Le voyage, également : si À la croisée des mondes nous embarquait jusqu’aux confins du cercle polaire, ce roman nous fait descendre la Tamise déchaînée de Londres à Oxford à bord de ce canoë vert qui, au fil des pages, devient presque un personnage à part entière du récit, un véritable compagnon de route, voire un guide, pour Malcolm et Alice. Le voyage est, dans l’œuvre de Pullman, le trajet initiatique qui amène le héros à se réaliser lui-même. Peu importe le décor, ou la durée, le voyage est ici la métaphore de la vie : c’est par lui que les personnages se découvrent, se renforcent, grandissent et maturent peu à peu. Ils trouvent l’amour, la confiance, en accomplissant leur quête. C’est aussi le voyage de la pensée, celle qui se construit, qui s’aiguise, se développe au fil des pages. Si la Poussière est consciente, le voyage devient, pour nos héros, le moyen de la prise de conscience et de l’émancipation.

Car évidemment, on retrouve ici l’élément clé de l’œuvre de Pullman : la fameuse Poussière, ainsi que l’aléthiomètre, cet instrument quasi-magique qui détient la vérité. Autour de cette Poussière et de ses mystères se développe un scénario qui apporte un regard nouveau sur les évènements de la trilogie originelle. Si À la croisée des mondes nous embarquait sur les traces de la Poussière et de ses propriétés, La Belle Sauvage, elle, nous explique en quoi elle bouscule l’ordre établi, et définit les enjeux politiques et religieux du monde dans lequel Lyra évolue ensuite. Formidable critique de l’intégrisme religieux et de l’obscurantisme, La Belle Sauvage se fait autant récit politique que roman d’aventure.

C’est d’ailleurs là tout le talent de Pullman, cette écriture à plusieurs vitesses, ces lectures en « strates » qui rendent son œuvre intemporelle et intergénérationnelle. Petit, vous êtes happé par son univers foisonnant, peuplé de créatures extraordinaires et de sorcières. Adolescent, vous voyagez avec ses personnages, d’Oxford aux paysages glacés d’Uppsala, en Suède, sur les rives sauvages de la Tamise jusqu’aux aurores boréales du Grand Nord. Enfin, adulte, toute la dimension métaphysique vous apparaît, la réflexion autour de la religion, de la philosophie, de la théologie. C’est avec une grande justesse que Philip Pullman tire toutes ces ficelles dans ses récits, et c’est ce qui rend son œuvre si unique : parvenir à être si profond sans jamais devenir inaccessible.

Le seul bémol de cet « equel » ?
Qu’il faille désormais attendre la suite !

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