Chronique

Publié le 15/02/2018

Libération : Patrick Ness à son apogée

Libération - Patrick Ness

Charlène, rédactrice On Lit Plus Fort, nous livre son avis sur Libération, l’émouvant nouveau roman de Patrick Ness.

On l’attendait depuis sa soirée de lancement outre-Manche, Libération, le petit nouveau de Patrick Ness est enfin disponible en France ! L’auteur multi-primé nous livre ici un récit intimiste sur l’adolescence et l’homosexualité.

« Il avait atteint ce stade rare, qui se produisait parfois sur un parcours, où il prenait conscience de sa jeunesse, conscience de sa force, conscience de l’immortalité temporaire accordée par ces moments de totale libération physique. »

Avec justesse et sensibilité, on rencontre le jeune Adam, lycéen dans la petite ville de Frome dans l’état de Washington alors qu’il s’apprête à vivre ce qui s’annonce probablement comme la pire journée de sa vie. Car ce soir, c’est la fête d’adieu de son ex-petit ami avant son déménagement, et malgré sa relation actuelle avec Linus, Adam n’est jamais vraiment parvenu à tourner la page. Autant dire que, dès le départ, cette journée s’annonçait mal. Mais c’était sans compter l’entourage d’Adam, qui semble s’être donné le mot pour lâcher toutes les bombes les plus catastrophiques possibles au même moment. Son frère, sa meilleure amie, son petit copain, son père… En une journée, Adam va voir son monde chamboulé, ces certitudes vaciller, et il va devoir apprendre à enfin décider et parler pour lui-même.

« Peut-être que l’amour rendait stupide. Peut-être que la solitude rendait stupide. »

Pendant ce temps, le fantôme de Katherine Van Leuwen, retrouvée assassinée dans le lac quelques jours auparavant, resurgit des limbes à la recherche de son meurtrier, dans une quête de justice mâtinée de revanche qui nous entraîne à la frontière du réel…

« Ne rate jamais une occasion d’embrasser quelqu’un. C’est la pire sorte de regret. »

Dans une écriture presqu’à deux voix, tantôt mystérieuse et poétique lors des passages fantastiques, tantôt directe et sensible, ce récit s’offre comme un voyage au cœur de l’intimité de deux adolescents. Loin des clichés sur le sujet de l’homophobie ou de la drogue, sans aucun jugement, Patrick Ness se pose en porte-parole d’une jeunesse incomprise et souvent en détresse, parfois incapable d’appeler à l’aide. Il expose les difficultés auxquelles peuvent se heurter ces jeunes : la religion, le regard des proches et de sa famille, sa propre confusion vis-à-vis de soi-même et des autres, le sentiment de n’avoir rien d’autre auquel se raccrocher.

« Pourquoi faudrait-il absolument se définir ? Parce que, si tu ne le fais pas, liberté. Parce que, réalisation personnelle. Parce que, fluidité au lieu de te calcifier dans ce que l’étiquette fera de toi. »

Comme souvent dans les romans de Patrick Ness, l’adolescence et ses tourments sont abordés avec empathie et naturel. C’est un message profond, positif, et criant de vérité qui nous touche en plein cœur et nous ramène au plus près de nous-mêmes. Car au final, les inquiétudes d’Adam, Linus ou encore Angela sont aussi un peu les nôtres. Qui n’a jamais eu peur du changement, du jugement des autres ou de ne pas être aimé ? Qui ne s’est jamais réfugié dans les bras molletonnés de coton d’une routine rassurante et sécuritaire car parfaitement prévisible, dans ses bons et ses mauvais aspects ? Quel cœur n’a jamais été étreint par l’angoisse de ne pas être aimé assez, ou de ne pas être aimé en retour ? Quelle âme n’a jamais tremblé à l’idée de se voir rejetée par ceux à qui elle tient ?

C’est cette sincérité, cette justesse dans la plume qui font de ce roman le récit universel de nos angoisses, tout en s’affirmant comme une nouvelle voix porteuse de libération et de tolérance.

« Je n’ai pas vu l’étiquette comme une prison, je l’ai vue comme une carte entièrement nouvelle avec un horizon dingue, complètement à moi, et maintenant je peux faire tous les voyages que je veux, et peut-être même que je trouverais une maison à moi. Ce n’est pas un rétrécissement, c’est une clé. »

Émouvant, surprenant, et si parfaitement proche de nous, lecteurs, Libération se pose comme un nouveau chef-d’œuvre de Patrick Ness.

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