Fanfiction Le Livre des Étoiles

 

     Il courait depuis des heures dans ces tunnels interminables. Il s’assit, à bout de souffle et s’appuya contre la paroi de pierre froide et humide derrière lui. La galerie dans laquelle il se trouvait était vaste, et de l’eau ruisselait sur les murs. Machinalement, il porta la main à son cou, et effleura le pendentif que lui avait offert Ambre à son anniversaire de 14 ans. C’était un médaillon fait d’un métal irisé représentant un guillemot de troïl, un oiseau maritime. Son œil était en onyx noir. Guillemot soupira dans la pénombre et une larme roula sur sa joue. Il ne pourrait sans doute plus jamais revoir ses amis, ni Ambre qui lui manquait terriblement ! Il se calma peu à peu. L’ex-sorcier eut une idée : il ramassa une poignée de sable humide par terre. S’il arrivait à faire fonctionner son Galdr, il pourrait faire un couteau et il aurait au moins une arme, même minable, pour se défendre contre la créature si besoin. Il se laissa envahir d’une douce torpeur. Il appela à lui Uruz « la vache rousse » pour fixer, puis Fehu « la Toile d’araignée » pour charger la terre en énergie, Raidhu « la Voie » pour agencer et ordonner, et enfin Wunjo « l’Étendard » pour harmoniser les actions des Graphèmes… Il n’avait même pas eu la force de se lever et d’adopter les différentes Stadha pour amplifier les pouvoirs des Graphèmes… Un voile rouge passa devant ses yeux, puis plus rien.
     Quand Guillemot se réveilla, il était toujours étendu sur le sol. Son Galdr n’avait pas fonctionné. Il s’était épuisé pour rien. Ici, on aurait dit que la magie des Graphèmes ne fonctionnait pas. Et même si elle avait pu fonctionner en cet endroit, il avait l’impression que ces tunnels l’empêchaient de se souvenir comment faire un Galdr. Il était certain que ce n’était pas exactement comme ça.
     « Comme chez les Korrigans », songea-t-il.
     Ces créatures leur avaient fait subir à lui et ses amis toutes sortes d’humiliations et de jeux ridicules. Quand ils avaient essayé de s’enfuir grâce à la magie de Guillemot, le roi des Korrigans, Kor Mehtar, lui avait certifié que la magie des Graphèmes « ne fonctionnait pas dans ce lieu ». Les Korrigans utilisaient les Oghams comme magie, qui était une magie de la terre et de la lune. Celle des Graphèmes venait des étoiles. Or, nulle étoile au fond de cette montagne. Que de la terre.
     – Il suffit d’utiliser les Oghams ! s’écria tout haut Guillemot.
     Il sortit précipitamment de sa sacoche la pierre blanche que le roi des Korrigans lui avait donnée. Il la fit précautionneusement glisser de son sachet en velours bleu dans sa paume. Et maintenant ? Il ne connaissait pas cette magie, il n’avait aucune idée de comment l’utiliser. Il en effleura les symboles méticuleusement gravés. Il ne connaissait pas leur signification, mais si le roi n’avait pas menti, ils le protégeraient. Guillemot sursauta : les symboles s’étaient mis à rougeoyer le temps d’un battement de cils avant de reprendre leur couleur normale. Cependant, autour de lui crépitait maintenant une fine bulle. Guillemot avança  prudemment la main. La bulle s’élargit pour l’empêcher de l’atteindre. Il répéta l’action plusieurs fois ; le résultat était toujours le même. Cela devrait pouvoir le protéger un temps. Sa torche s’était éteinte à cause de l’humidité mais la paroi translucide prodiguait une lumière suffisante pour qu’il puisse progresser sans difficultés. Le jeune garçon reprit espoir ; il percerait le secret de la créature et allait réussir à sortir de ces fichues galeries, il le devait !
 
     Guillemot courait presque quand il atteignit une vaste salle faiblement éclairée par une ouverture très haute et irrégulière dans le plafond de pierre. Impossible de l’atteindre. Ah, si seulement Ambre était là ! Elle qui savait si bien escalader n’importe quelle paroi, même les plus lisses… elle aurait pu atteindre l’ouverture… Il remarqua alors un étroit passage dans un coin de la grotte. Une autre galerie. Il y pénétra prudemment. Elle était beaucoup plus basse et étroite que les précédentes. Il fallait y progresser à genoux, parfois en rampant. Il y faisait chaud et l’air était étouffant. Après un dernier regard en arrière, l’ex-apprenti commença à descendre la longue pente qui le mènerait peut-être – et il l’espérait – vers la sortie. Plus il progressait, plus l’air était étouffant. Au bout d’un moment, les genoux et les coudes en sang, il dut faire une pause. La galerie s’enfonçait de plus en plus dans les profondeurs de la terre, impossible donc qu’elle le fasse sortir de cette fichue montagne. Mais alors où menait-elle ? Sans doute pas à un endroit souhaitable. Guillemot imagina son poursuivant le rechercher. Rien qu’à se le figurer, il en eut des frissons dans le dos. Comme il n’était plus question de faire demi-tour – car la galerie était trop étroite pour qu’il puisse se retourner – il allait continuer à avancer. Le jeune garçon se sentait pris au piège. Pourtant, il devait continuer, car il n’avait pas d’autre choix.
 
     La créature se redressa. Elle avait faim. Terriblement faim. Cela faisait plusieurs centaines d’années qu’elle n’avait pas mangé. Pas un seul animal n’osait s’aventurer au cœur de la montagne. Mais, fait inédit, un humain s’était aventuré jusqu’à elle. Ce serait un bien maigre festin, mais elle devrait s’en contenter. Un souvenir confus remonta alors du fond de sa mémoire embrumée : elle était jeune – pour la créature, tout ce qui avait moins de quatre mille ans était jeune – et ne ressemblait pas encore à ce qu’elle était maintenant. Celle qui lui avait donné naissance la berçait doucement dans ses bras et lui chantait une étrange chanson. Puis des gens qui lui en voulaient était venus prendre sa mère, car elle avait eu une idée : déchirer cette région du continent pour en faire une île indépendante et secrète où tout le monde pourrait vivre en profitant de ce qu’il y a le mieux dans le monde : la magie. Ensuite, la créature avait grandi, orpheline, et s’était juré qu’elle accomplirait le rêve de sa génitrice pour qu’il devienne réalité. Elle avait cherché toute sa vie d’humaine et avait fini par trouver une solution. Elle était une sorcière aguerrie, et elle connaissait toutes les subtilités du Wyrd que lui avait enseignées sa mère. Elle avait dû chercher pendant des années les meilleurs sorciers et sorcières qui existaient dans le monde, et avait réussi à les convaincre de l’aider en échange du secret des étoiles. Ce secret était conservé précieusement dans un livre que la créature avait écrit elle-même à partir de toutes les expériences qu’elle avait vécues. Les sorciers avaient accepté. Quand le grand moment vint, elle leur parla, et proposa à ceux qui le voulaient de partir avec elle vivre sur l’île. Une poignée acceptèrent et promirent de ne pas révéler la raison pour laquelle le pays s’était séparé du reste du monde. Pour effectuer cette séparation, ils durent utiliser un seul Graphème, le plus dangereux : le 25e, Fa, la Fracture, la Déchirure. Comme un seul homme, les sorciers avaient clamé le nom du Graphème et la terre s’était ouverte devant eux. Mais la créature fut touchée par le sortilège. Son cœur fut brisé ainsi que son esprit. Les autres sorciers lui prirent Le Livre des Étoiles et enterrèrent la créature dans une grotte au cœur d’une montagne. Pendant que son corps d’humaine mourait, la créature naissait.
Elle aussi avait été humaine, elle ne pouvait donc pas le manger. Il fallait qu’elle le sauve par égard pour son espèce en le faisant sortir de la montagne.
 
     Cela faisait plusieurs heures que Guillemot rampait dans ce conduit. La chaleur était étouffante, il avait de plus en plus mal à respirer et ses vêtements lui collaient à la peau. Le cerveau embrumé par la fatigue et le manque d’oxygène, il avançait en automate, ne cherchant plus à voir où il allait, se cognant régulièrement contre les murs et trébuchant sur les irrégularités du sol. Progressivement, le tunnel s’élargit et Guillemot pu enfin se tenir debout. Bientôt, il arriva à un autre embranchement. À gauche, une chaleur étouffante et une lueur orangée au bout. À droite, un long tunnel sombre d’où arrivait un courant d’air frais. Guillemot n’hésita pas longtemps.  Il s’engouffra dans le tunnel de droite et put enfin mieux respirer. Mais il n’eut pas fait trois pas qu’un éclair bleu passa fugitivement devant lui et qu’un énorme rocher lui bloqua le passage. Ça s’était passé si rapidement que le jeune garçon douta un instant d’avoir bien vu. Pourtant, la galerie était bel et bien bouchée...
     –  Ne reste plus qu’à faire demi-tour ! ronchonna-t-il
     À contre-cœur, Guillemot entra dans le tunnel de gauche. Il fut assailli par une chaleur infernale. Après ce qui lui parut une éternité, il déboucha dans une petite grotte aux murs ocre. Au centre de la salle trônait un puits vide. Il repensa à la mission qui lui avait été confiée : entrer dans les Montagnes Dorées pour trouver la créature et comprendre son secret. Un bruit derrière le fit sursauter : à sa grande horreur la créature se tenait dans un coin de la pièce, prostrée, la tête entre les genoux. Elle avait le corps couvert d’écailles, et elle murmurait une phrase en boucle : « J’étais humaine moi aussi... » Quand elle entendit le sorcier approcher, elle se leva, tendit une main écailleuse tout comme le reste de son corps et secoua son visage trempé de larmes. Guillemot recula, terrifié.
     – Ils voulaient savoir qui je suis ? demanda-t-elle
     Il hocha la tête, apeuré.
     – Je t’ai sauvé. L’éboulement, c’était moi. Elle lui effleura le front et il s’endormit aussitôt.
 
     Quand le jeune garçon se réveilla, il était allongé dans un lit, Qadehar à ses côtés.
     – Bonjour Guillemot !
     – Bonjour papa ! Je veux que tu saches avant tout que je n’ai pas échoué dans ma mission. La créature m’a donné ses souvenirs. Quand elle a touché mon front, tout est entré dans ma tête.
 
     Guillemot dut raconter encore une fois son aventure et l’histoire de la créature à ses amis. Coralie avait les yeux étincelants, Romaric en bavait presque et Ambre affichait un sourire mystérieux.

Anouck