Fanfiction Le Livre des Étoiles

 

« L’éveil »

Pourtant il fallait qu’il continue, s’il ne voulait pas revoir cette silhouette drapée de ténèbres et sa terrifiante aura. Que pouvait donc bien être cette chose ? Guillemot en possédait comme un souvenir brumeux. Il reprendrait sans doute cette réflexion en lieu sûr. Soudain, Guillemot ressentit une étrange palpitation au niveau de son cœur et sombra dans le néant, tandis qu’une force ancienne faisait se mouvoir son corps évanoui. Lorsqu’il se réveilla, il sentit instinctivement, bien qu’il ne sache pas comment, qu’il se trouvait au cœur de la montagne. Et ce cœur palpitait, d’une force dépassant les limites de l’imagination. Alors qu’il levait les yeux, Guillemot remarqua que la caverne dans laquelle il se trouvait était un dôme à ciel ouvert laissant voir une lune de sang qui baignait la grotte d’une lumière écarlate. Le sol de la caverne était recouvert de végétation de toute sorte. Guillemot songea qu’autant de plantes si différentes n’auraient sans doute pas dû pousser dans un tel environnement. Mais ce qui frappait le plus le jeune garçon dans cette immense grotte, c’étaient les parois : elles étaient recouvertes d’un étrange alphabet, semblant être né avec la pierre.

« Oghams », sembla murmurer une voix ancienne et malicieuse dans l’esprit de Guillemot. Ce dernier ressentait, au fur et à mesure des palpitations des Oghams, une douleur s’intensifiant à sa main gauche, telle une brûlure. Malgré cela, Guillemot se sentait rasséréné ; lui qui était transi et désespéré auparavant bouillait maintenant de détermination et d’une énergie nouvelle. Il n’allait plus fuir face à cette étrange silhouette. « Le rapport de forces est inversé, maintenant », pensa Guillemot. « C’est moi qui vais venir à ta rencontre ! » Il sentait les forces telluriques de la montagne converger en lui, il ressentait les tunnels, les embranchements, mais aussi la position de son ennemi…
 
Alors Guillemot appela un signe qu’il ne reconnut pas, mais il visualisait des racines d’arbres millénaires creusant jusqu’à leur objectif final. L’énergie dégagée par cette ancienne arabesque modifia la typologie même de la montagne, et dans un grondement titanesque, un boyau naquit devant les yeux de Guillemot. Bien qu’ébahi par une telle puissance, il sut instinctivement que ce tunnel l’emmènerait à la terrifiante masse ténébreuse. Il marchait, revigoré par une force ancienne. Il avait une conscience aiguë de l’incroyable mécanique de son corps, les millénaires d’évolution pour y parvenir. Une gratitude inconditionnelle parcourait tout son être.

Guillemot visualisa cette gratitude, la ressentit tenter de faire surface, la vit germer et, lorsqu’elle tenta d’éclore, il la retint, préparant une floraison plus éclatante encore. Alors qu’il marchait dans le tunnel qu’il avait créé, Guillemot identifia une aura de terreur pure dans l’air environnant. Mais il ne tremblait pas. Tant que son sang parcourrait ses veines au rythme des battements de son cœur, il ne fléchirait pas.

Enfin, il la vit, cette silhouette encapée de masses de ténèbres grouillantes et grésillantes.
« L’Ombre » pensa Guillemot, tout en se rappelant des bribes de souvenirs. L’Ombre tendit une de ses mains vers lui, mais, sans lui laisser le temps d’agir, Guillemot prononça un étrange récital d’incantation d’une voix bien plus ancienne que la sienne. Immédiatement, la pousse de gratitude qui germait dans son esprit éclot en une magnifique fleur de lys, tandis qu’une vague d’énergie déferlait de sa main gauche. Lorsque la déferlante s’abattit sur l’Ombre, cette dernière se désagrégea et il sembla à Guillemot entrapercevoir un vieillard derrière la cape. Soudain la caverne explosa, et Guillemot se réveilla.

Il se trouvait dans sa chambre d’hôpital à Dashtikazar. Étrangement éreinté malgré cette nuit de sommeil, Guillemot regarda la date. Et il bondit hors de son lit, fou de joie. Il allait enfin pouvoir quitter l’hôpital ! Il avait hâte de revoir ses amis. Mais celle qui hantait ses pensées, pendant que les souvenirs de son rêve s’effaçaient, c’était Ambre et toujours Ambre. Pendant qu’il marchait vers la sortie du centre hospitalier, pris dans ses réflexions, Guillemot ne pensa pas à regarder dans la paume de sa main gauche, avec laquelle il avait tenu la pierre de Kohr Mehtar toute la nuit. Au creux de sa main se trouvait maintenant l’alphabet tellurique des Korrigans.

Durant la nuit du rêve de Guillemot, les souterrains de la lande du pays d’Ys grouillaient d’activités. En effet, un humain élu avait reçu la bénédiction des Oghams. Dès lors que Kohr Mehtar le sut, il prévint immédiatement le peuple korrigan. Et d’une voix forte, pour être entendu de toute l’assemblée, il tonna : « L’élu a répondu ! » Puis la fête commença. 

Les plus anciens mages korrigans formèrent une ronde, en scandant des incantations millénaires, afin d’invoquer la bénédiction des Oghams, tandis que le reste du peuple chantait, dansait et riait comme presque tous les soirs dans les galeries de la lande. De nombreux jeux furent organisés, les Korrigans ne ratant aucune occasion de s’amuser. Et le bouffon royal, un prénommé Bertram, était sollicité de toutes parts.  Ce dernier se demandait pour quelle raison cette fête avait été organisée. « Les Korrigans ont beau adorer faire la fête, celle-ci semble plus importante, puisque même les vieux mages sont présents. Pour quelle raison ? » pensait Bertram. Toutefois, en tant que bouffon royal, il n’avait pas le droit d’adresser la parole aux Korrigans en dehors du cadre de ses tours. Bertram essayait donc le plus possible de rester à proximité de Kohr Mehtar afin de pouvoir capter la moindre information. Au grand dam du jeune sorcier, ce n’était pas une tâche aisée ; les Korrigans appréciant énormément ses numéros, il était demandé dans tous les coins de la caverne. Bertram dut user de toute sa ruse en organisant un spectacle de pantomimes sur une scène improvisée, proche du trône royal. 
 
Alors que Bertram se lançait dans un numéro de jonglage complexe, un jeune korrigan, une centaine d’années tout au plus, s’approcha de Khor Mehtar et demanda :

« Votre Majesté, j’aimerais vous questionner
Qui est donc l’élu sacré 
Qui cette nuit s’est éveillé ? »
Un grand sourire s’afficha sur le visage du roi des souterrains, lorsqu’il répondit :
« Si tu ne l’as pas su c’est que personne ne t’a prévenu !
L’élu est un ancien de Gifdu
Un abandonné des étoiles qui ravivera la flamme des Oghams. »

À l’évocation de « l’abandonné des étoiles », Bertram fit tomber l’une des balles avec laquelle il jonglait ; ce qui lui valut quelques huées en korrigani de la part de son public mais, plongé dans ses réflexions, il ne le remarqua même pas. « Ça ne peut être que Guillemot ! » pensa le jeune sorcier. Bertram avait vite appris que Guillemot ne pouvait plus utiliser les Graphèmes. « Guillemot est maintenant l’élu des Oghams, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? » Bertram plaignait Guillemot, qui allait de nouveau devoir supporter le fardeau du titre d’élu. Mais intérieurement, le jeune sorcier ressentait aussi un léger pincement de jalousie. « Guillemot, tu ne pourrais pas un peu partager tes grandes destinées ? » chuchotait une petite voix dans la tête de Bertram. Ce dernier se sentit coupable d’une telle pensée, et la rejeta aussitôt. Guillemot était son ami, et il le soutiendrait dans les épreuves qu’il devrait endurer ! « Je ne suis sans doute pas au bout de mes peines… » songea Bertram dans son costume de bouffon. Guillemot et ses amis avaient sans doute encore beaucoup de chemin à parcourir ensemble !

Diego