Chronique

Publié le 19/09/2019

Entretien avec François Place - La reine sous la neige

La reine sous la neige - François Place

François Place s’est livré sur son nouveau roman, La Reine sous la neige, disponible en librairie dès aujourd’hui :

« Une tempête en plein ciel, un avion dérouté, une jeune femme fragile de 18 ans, un vol de portable, un coup de foudre, une reine morte, un enfant perdu, un tigre évadé du zoo, une statuette de plastique, une enquête impossible, Londres sous la neige… »
 
 

Comment vous est venue l’idée de « faire mourir » la reine d’Angleterre ?
« J’ai lu dans Courrier international l’article d’un journaliste anglais, Sam Knight, qui décrit la mise en place d’un protocole extrêmement méticuleux (nom de code : London Bridge) en cas de décès de la reine d’Angleterre. Tout est prévu, heure après heure, jour après jour, jusqu’à la cérémonie religieuse finale. Cela va bien au-delà de ce que nous appelons des funérailles nationales.
Il est difficile de ne pas penser au livre d’Ernst Kantorowicz les deux corps du roi : le corps d’un roi ou d’une reine participe de la condition humaine, donc mortelle, mais il est également d’essence souveraine, parce qu’il incarne la continuité du royaume qui ne peut pas mourir.
De ce fait, il appartient à deux temporalités différentes.
Ce sont ces deux temps qui constituent en quelque sorte la trame du récit. Cette période des cérémonies ouvre sur ce temps hors du temps, archaïque et mystérieux, qui plonge ses racines dans les vieilles légendes d’où prétendent venir toutes les couronnes. Nous avons vécu quelque chose d’approchant avec l’incendie de la charpente de Notre-Dame appelée « la forêt », fabriquée avec des arbres vieux de plusieurs siècles : ce mot fait résonner des émotions venues de très loin, alors que l’événement, lui, se manifeste par la brutalité de son actualité.
C’est un moment romanesque, qui se prête à la fiction et à l’imagination, pour peu qu’on oublie la réalité de la personne concrète (personne ne souhaite la disparition réelle d’Élisabeth II) pour ne garder que les caractéristiques du personnage. »
 
La rencontre – amoureuse, amicale – est au cœur de ce roman. Pouvez-vous nous dire ce qui se joue, pour vous, lors d’une rencontre ? Est-ce facile, agréable, ou même jubilatoire, de « dire » une rencontre et ce qu’elle contient de surprises ou de tensions ?
« Lorsqu’on écrit sans aucun plan, on est porté par les personnages et on découvre ce qui leur advient au fur et à mesure. La rencontre amoureuse de Sam et d’Eliot, rencontre immédiatement contrariée par une dispute stupide, est au cœur du livre, comme on parle du cœur d’un réacteur. Elle produit l’énergie permettant d’avancer dans l’histoire. Et c’est jubilatoire d’en découvrir soi-même les péripéties au fur et à mesure de l’écriture.
Il y a dans le livre d’autres rencontres, amoureuses ou amicales. Toutes sont liées entre elles par la mort de la reine qui fait basculer le pays dans l’inconnu et l’imprévisible. »
 
L’action principale se déroule sur un temps très court – trois jours -, tous les personnages semblent courir, mais la mort de la reine et la tempête de neige semblent avoir arrêté le temps. Quel effet souhaitez-vous produire avec ce contraste ?
« L’action épouse le rythme imposé par la temporalité des cérémonies : pour Sam et Eliot, le choc de la rencontre et les affres de la séparation ont lieu le jour-même, puis ils sont chacun à un bout de la terre douze jours plus tard, pendant la retransmission télévisée des obsèques.
Enfin les semaines et les mois passent pendant lesquels ils tentent de reprendre une vie normale, bien que profondément affectée par l’effet de traîne des événements. Il faut lire le livre pour connaître la fin !
C’est une des merveilles de l’écriture, on peut à volonté dilater ou contracter le temps, s’attarder sur un moment fugace mais d’une importance capitale – lorsque Sam caresse la joue d’Eliot dans le métro avant de prendre la fuite – et faire un bond de plusieurs mois dans l’ellipse que produit le passage entre deux chapitres.
Mais le plaisir, c’est aussi d’imaginer des situations « impossibles ». L’enquête menée par Nigel et Hardy, par exemple, sur l’agression mystérieuse de la logeuse du petit Khan les emmène aux confins du fantastique, où rôde, piégé lui aussi dans cette boucle du temps, le fantôme du tigre. »

 

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