Entretien

Publié le 09/09/2020

Entretien avec Manon Fargetton pour "À quoi rêvent les étoiles"

" Et s'il existait, comme pour les étoiles, des constellations invisibles à l’œil nu reliant les humains ? "

©ChloeVollmer

Comment résumer votre roman en quelques phrases ?

Je voulais écrire sur l'isolement. Et évidemment, je me suis retrouvée à parler de connexion. Des nouveaux liens qui se nouent malgré nous. De ces constellations qui apparaissent dans l'encre de nos ciels.

 

Des indices pour éclairer le titre ?

J'adore regarder les étoiles. L'idée de constellation me fascine. Les étoiles qui les composent sont parfois très éloignées les unes des autres dans l'univers, les constellations existent simplement parce que quelqu'un a décidé qu'elles existaient. J'ai depuis longtemps en tête cette image de la voûte céleste comme d'un miroir qui reflète l'humanité. Comme si, en levant les yeux, c'était nous que nous regardions, tous ces rêves et ces espoirs qu'on a projetés là-haut, tous les mythes fondateurs qu'on a voulu y voir représentés.
Les étoiles de mon titre, ce sont mes personnages qui brillent seuls dans un recoin de la nuit et qui ne savent pas encore qu'ils forment une constellation dans le grand ciel des hommes.

 


Quel a été le point de départ de votre roman ?

Tout est parti d'articles de presse. L'un d'eux, intitulé « Vous effacez les numéros de vos morts ? Eux n'y arrivent pas. », regroupait des témoignages de femmes et d'hommes qui racontaient avoir encore dans leur répertoire les numéros de téléphone de proches décédés et que les effacer aurait été presque comme les tuer une seconde fois. Ils savent, au fond, que le numéro a certainement été réattribué à quelqu'un d'autre. Mais ils le conservent quand même. Bien sûr, ça a titillé la romancière en moi, cette idée d'une simple suite de chiffres comme d'une ultime connexion avec nos morts...
Le personnage de Titouan est arrivé comme ça par cette mise en retrait choisie, ce refus du jeu social ; et le personnage de Luce, au deuil impossible, s'est creusé avec lui une place dans ma tête. Deux solitudes reliées par un numéro de téléphone.

" Les étoiles de mon titre, ce sont mes personnages qui brillent
seuls sur un recoin de la nuitet qui ne savent pas encore qu'ils
forment une constellation dans le grand ciel des hommes. "

Alors qu’on ne cesse d’opposer le lien virtuel au vrai lien social, votre roman montre justement ce que les nouvelles technologies peuvent avoir de très « humain ». Aviez-vous envie de faire une sorte d’anti Black Mirror ?

Cette série est incroyable ! Mais ici, ce n'était pas le propos, en effet. Une technologie est toujours ce qu'on
en fait. On a bien vu durant le confinement que les outils numériques peuvent maintenir des liens sociaux, permettre d'éviter l'isolement total. Je suis de la génération des forums et de MSN, et ma vie de jeune adulte a été marquée par la montée en puissance des réseaux sociaux. J'ai rencontré plein de gens grâce au Net. Ça m'arrive encore souvent. Et même ceux avec qui je n'ai échangé que par écrans interposés ont laissé une trace dans ma vie. Ce n'est pas parce qu'une discussion est virtuelle qu'elle est anodine. Dans À quoi rêvent les étoiles, mon envie était de considérer ces technologies comme une forme contemporaine de magie. La « connexion », dans ce que ce terme a de plus beau.

 

Le théâtre tient une grande place dans ce texte, tant sur la forme que sur le fond. Pourquoi ce choix ? Titouan et Luce sont arrivés les premiers. Mais entre la mise en retrait de Titouan et le deuil de Luce qui l'empêche d'avancer, ils étaient tous les deux dans une forme d'immobilité. Au moment où j'ai vraiment commencé à réfléchir à l'histoire que je voulais écrire, un contrepoint s'est imposé.

Un personnage plein de vie, d'envie, de colère, de volonté, de mouvement. Ça a été Alix. Alix et son admiration sans bornes pour sa prof de théâtre, Alix et son rêve de devenir comédienne. Durant dix ans, j'ai exercé en parallèle de l'écriture le métier de régisseuse lumière. J'ai arrêté en décembre dernier. J'ai terminé le premier jet de ce roman quelques jours plus tard. Je crois que si ce texte est à ce point devenu une déclaration d'amour au théâtre, c'est parce que l'écrire a été ma manière de dire au revoir à ce métier, et à cet univers qui a été pour moi si fondateur.

 

Pourquoi avoir choisi la Bretagne comme décor ?

C'est justement par Alix, son père et sa prof de théâtre que la Bretagne s'est imposée — Rennes, et surtout cette Côte d'Émeraude, qui a été le cocon de mon enfance, le terrain de jeux de mon adolescence. Les lieux me sont tous intimes. Chaque rue, chaque café, chaque grain de sable. Sans oublier le conservatoire de Saint-Malo, mon refuge, dans le parc duquel j'ai autant appris la musique que l'amitié ou l'amour. Je n'aurais pas pu imaginer un autre cadre pour Alix et ses rêves de théâtre.

 

Le texte insiste sur le pouvoir réparateur du lien à l’autre. Cela correspond-il à votre vision du monde ?

Oui et non. Les autres peuvent être des miroirs – parfois déformants ! – et des déclencheurs, en nous confrontant à nos peurs, à nos contradictions, à nos désirs enfouis, à nos blessures... Ils bousculent nos convictions. Ils nous aident à avancer. Ils nous tiennent la main. La route est clairement plus douce et plus riche en bonne compagnie. Seulement, personne ne peut la parcourir à notre place. Je ne crois pas aux sauveurs. Je crois aux rencontres qui surviennent au moment où on en
a besoin. C'est vraiment la manière dont je construis mon réseau de personnages : que vont-ils apprendre les uns des autres ? Comment la friction de leurs existences va-t-elle les modifier ?

Ça en fait, je l'espère, un texte dans lequel les adultes
pourront autant se reconnaître que les adolescents. "

Ce roman met en scène plusieurs générations. N'est-ce pas surprenant dans un roman destiné aux adolescents ?

D'abord, les ados adorent se projeter dans des personnages adultes. Mon précédent roman, Dix jours avant la fin du monde, me l'a confirmé : qu'il n'y ait aucun personnage de moins de vingt ans ne les a pas dérangés. Mais mélanger dans un roman choral des voix adultes et adolescentes me permet surtout d'explorer de l'intérieur des relations intergénérationnelles et intrafamiliales. Ce sont des problématiques qui traversent tous mes romans, et particulièrement celui-là. Cela en fait, je l'espère, un texte dans lequel les adultes pourront autant se reconnaître que les adolescents.

 

Dans ce roman choral, vous réussissez à intéresser le lecteur à chacun des personnages. Y en a-t-il un dont la trajectoire vous touche particulièrement ?

Luce, sans hésiter. Le thème du deuil est récurrent dans mes romans, certainement parce que perdre
mes proches est ma plus grande peur et que c'est une façon de l'exorciser. Mais surtout, j'aime les personnages de vieux. Ils sont toujours bien plus que ce qu'ils semblent au premier abord, ils sont composés de mille strates.

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